Un texte lu dans Elle, écrit à la première personne par une femme.
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C’est mon histoire : « Le jour où j’ai découvert l’échangisme »
Á 43 ans, Béatrice entrouvre une porte insoupçonnée. Elle qui avait longtemps étouffé dans une sexualité monotone découvre avec son amant les joies de l’échangisme.
Je voyais des chairs molles, des peaux ridées, des lumières blafardes. Des regards faussement complices où je croyais déceler une forme de tristesse. Un empilement de corps où se noyaient les visages et, avec eux, une forme d’humanité. Pour moi, l’échangisme était une sexualité glauque et assez marginale qui avait envahi le petit écran ces dernières années. Les reportages pseudo-sulfureux dans des clubs libertins divertissaient mes insomnies. Mais j’avais beau me dire écoeurée par ces images, je ne zappais pas. Étais-je déjà attirée ? Je ne sais pas. Ce dont je suis sûre, c’est qu’à l’époque ma libido était si contrainte qu’elle avait fini par périr d’ennui. À bientôt 40 ans, j’étouffais dans une vie que j’ai fini par envoyer valser.
La rupture consommée, la garde alternée mise en place et les larmes séchées, je goûtais enfin ma liberté quand j’ai rencontré Ben. Scénariste à l’imaginaire aussi riche que son portemonnaie était vide, il était tout ce que je n’étais pas. Architecte d’intérieur, j’avais appris à aimer le beau et le chic. Ben a foutu le bordel dans ma vie et j’ai adoré ça. Au départ, nous étions juste amants. Ni lui ni moi ne nous interdisions d’autres aventures. Mais c’est avec Ben que je me sentais le plus en confiance. La légèreté de notre lien m’a permis d’explorer peu à peu des contrées bien éloignées de ma vie bien rangée. Ben encourageait ma curiosité et, avec lui, je sortais de mes clous. De mes premiers sex-toys à une forme de SM soft, la rapidité de ma mue me donnait parfois le tournis. Mais joyeusement ! Entre nous, tout se jouait à coup de « cap’ ou pas cap’ ? ». D’où ce « cap’ ou pas cap’, l’échangisme ? » que je lui ai lancé un soir de juin, alors que nous attendions notre tour devant la caisse du cinéma. La réaction outrée de Ben m’a vite fait redescendre sur terre : « Non mais t’es pas bien ! Jamais de la vie ! » Pour la première fois, le panneau « Stop » tranchait net. En un an, nous étions tombés amoureux, retrouvant peu à peu une exclusivité sexuelle plus classique. Cette évidence m’est apparue ce soir-là et elle m’a réjouie. Tant pis pour mon fantasme…
LE DÎNER DE TOUS LES DANGERS
Quelques semaines plus tard, nous étions dans les ruelles de Portofino, savourant nos premières vacances sans enfants. Aussi blafards que béats, nous nous retrouvons nez à nez avec Katerina, graphiste dans mon agence. J’ai toujours trouvé cette fille sublime. Gracieuse, aérienne, avec ses longs cheveux dorés, elle me fait penser à une fée des fjords. Ce jour-là, son teint hâlé la rendait irrésistible. Et me voici répondant « mais oui, bien sûr ! » à son « et si on dînait ensemble ce soir ? ». Ben bougonne un peu, mais je connais mon ours mal léché et je sais qu’il passera finalement une bonne soirée.
C’est Max, le mari de Katerina, qui remplit nos verres. Max qui prend la commande dans un italien parfait. Max qui fait savamment rebondir la discussion. Son assurance m’épate, tout comme son humour ravageur. Derrière lui, les lumières du port m’achèvent : je sens que je décolle. Cette soirée est délicieuse. Mais ce pied nu sur le mien me fait sursauter. Trop petit pour être celui de Max ou de Ben… J’ai rêvé ? Apparemment pas. Les yeux de Katerina plantés dans les miens et son sourire mutin me convainquent que ce n’est pas une méprise. Légèrement ivre, je lui rends sa caresse sous la table. Je lui souris… Et je rougis violemment quand je surprends le regard de Max. Rien ne lui a échappé. Pire, il n’a l’air ni surpris ni embarrassé, proposant une balade sur la plage.
Cette fois, Ben est le premier à approuver – lui aussi s’est laissé embarquer par l’ivresse du moment, semble-t-il. Sandales à la main, pieds dans le sable, bruit des vagues… Nous marchons tous les quatre au bord de l’eau. Je suis devant avec Max et, ses mains volant dans l’air, il déploie une épopée totalement délirante sur la Grande Ourse et les oiseaux de paradis. Voulant m’éviter un pied de parasol abandonné, il m’att**** par la taille et s’y attarde. Je le laisse faire, j’aime la fermeté de ses gestes. Toujours aussi sûr de lui, Max m’entraîne vers un lit à baldaquin en rotin et voilages, en bord de mer, et sort de nulle part une bouteille de champagne, des bougies et quatre verres. Cet endroit est donc leur repaire… Puis il s’allonge : « Tu me rejoins ? Si tu veux. Quand tu veux. » Je jette un regard en arrière, cherchant Ben. Il n’est pas loin, il se rapproche. Katerina le fait rire. Ils se tiennent tout près l’un de l’autre et je sens qu’elle lui plaît. C’est elle qui l’entraîne vers le lit où je n’ai osé que m’asseoir. Toujours aussi gracieuse, elle dépose un long baiser sur la joue de mon amoureux, dont elle caresse doucement les cheveux. Étrangement, je n’en suis pas jalouse. Un peu excitée même, pour être tout à fait honnête. Katerina s’assied à côté de moi et je frémis. Max nous observe, goûtant ce qui se noue sous ses yeux. Katerina se retourne vers Ben : « J’ai toujours trouvé ta fiancée très jolie. Je peux l’embrasser ? » Subjugué, Ben fait oui de la tête.
LE QUATUOR DE PORTOFINO
Une chaleur prend le bas de mon ventre quand les lèvres de Katerina trouvent les miennes. Sa poitrine, pressée contre moi, fait battre mon coeur très fort. La bretelle de ma robe glisse sur mon épaule et elle la relève avec une infinie délicatesse. C’est avec elle que mon corps se détend et qu’enfin je bascule sous les étoiles. Allongée entre Max et Katerina, du regard, j’invite Ben à nous rejoindre. Je sens son hésitation, je crains qu’il ne recule, mais non, il vient.
La suite est beaucoup plus floue… Ce sont des bouches qui se cherchent et se trouvent, des peaux qui frissonnent et ruissellent, des corps qui se mélangent, se collent, se pénètrent, sans qu’on sache plus très bien à qui appartiennent cette main, cette langue, ce sexe. À deux, à trois, à quatre, nous nous faisons jouir tour à tour. Et nous en redemandons, comme si cette soif des autres, de tous les autres, ne pouvait jamais s’étancher. Entraînés dans un tourbillon fou de désir et de plaisir, nous ne voyons pas arriver l’aube.
Et pourtant, tout à coup, il fait jour. Quand j’ouvre les yeux, Katerina et Max sont endormis dans les bras l’un de l’autre. Assis au bord du lit, Ben regarde la mer. Je me glisse derrière lui, enfouis ma tête dans son cou : « On rentre dormir tous les deux, mon amour ? » Sans dire un mot, Ben se lève et s’ébroue. On ne parlera pas de cette nuit-là, du moins pas pour l’instant, je le comprends à son silence. Le souvenir du plaisir qu’il a éprouvé avec Max le gênerait-il ? Peut-être. Visiblement, il veut oublier. Une fois dans notre chambre d’hôtel, il s’endort, la tête sur mes seins, un sourire énigmatique aux lèvres. Pour moi, le sommeil est plus difficile à trouver. Je sais que je viens d’ouvrir une porte que j’aurai du mal à refermer. Je sais aussi que Ben a aimé cette drôle de nuit, même s’il aura du mal à l’admettre. Je me dis qu’un jour une autre Katerina, un autre Max, un nouveau Portofino nous tendront certainement les bras. Cette pensée me réjouit. À mon tour, je m’endors en souriant…
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