Crise de puberté
La comtesse d’Esseg, qui observait attentivement Frida et qui le connaissait à fond, eut l’intuition du changement survenu ; pour le rendre complet et surtout durable, elle s’ingénia à entourer l’existence du jeune homme de toutes sortes de choses gracieuses, de coquetteries mièvres, de commodités douillettes, à la remplir d’occupations futiles et de distractions élégantes ; la créature la plus délicate, la plus raffinée n’aurait pu rêver une vie plus facile, plus amollissante, répondant mieux aux aspirations caractéristiques du sexe féminin et mieux faite pour flatter tous les gouts et même développer tous les défauts essentiellement féminins.
Frida n’avait cependant point qu’à se laisser vivre ; dans chaque journée un certain nombre d’heures étaient distraites pour le service personnel de la Comtesse, car Myrtile n’avait nullement renonce à utiliser Frida comme esclave. Elle tenait au contraire à la continuation et au perfectionnement de cette servitude, y trouvant un double avantage : d’une part sa domination ne cessait de peser sur le jeune homme parvenu à un profond degré d’asservissement ; d’autre part Frida ne pouvait que tendre vers une féminisation plus complète en se trouvant dressé à un service de femme de chambre auprès d’une maitresse aussi élégante, aussi coquette, aussi raffinée, aussi parfaitement femme que la Comtesse d’Esseg. Frida devait doit lui rendre, avec de constantes prévenances et des agenouillements fréquents, tous les services auxquels il avait été forme depuis que Myrtile était devenue la maitresse de son destin.
Toutefois la comtesse n’avait pas osé renouveler les audacieuses fantaisies auxquelles s’était complu son caprice dans les diverses circonstances où elle s’était montrée nue a son esclave ; elle craignait de fournir un aliment aux émois charnels de ce jeune homme en pleine crise de puberté, de gêner le développement de ce décalage intellectuel qu’elle avait deviné et dont elle attendait des effets décisifs.
Certes, elle reviendrait avec joie, avec ivresse, à ces voluptueuses fantaisies, mais elle attendait encore afin de ne pas compromettre ce changement de sexe qui avait été réalisé dans tous les détails extérieurs et qui pourrait sans doute être obtenu dans la mentalité elle-même si les dispositions actuelles se maintenaient.
Mais se maintiendraient-elles ?
Ah ! C’était là le point noir de l’avenir ; c’était le problème dont la solution l’inquiétait. Que produirait chez Frida la crise de puberté ? N’allait-elle pas réduire à néant le chef-d’œuvre résultant d’efforts si avises et si soutenus ? Frida allait-il se révéler comme un sensuel, comme un male domine par l’instinct ? Ou bien Myrtile aurait-elle la chance qu’il eut peu de tempérament ? L’idéal serait qu’il en fut dépourvu ; malheureusement sur cela il ne fallait pas compter puisque, grâce aux expériences risquées qu’elle avait faites, Myrtile le savait capable de manifestations viriles.
Sans doute la puberté avait été longue à s’annoncer ; il y avait dans son apparition un retard indéniable, considérable, nullement surprenant d’ailleurs étant donne l’éducation qu’il avait reçue et les conditions particulières de la vie qu’il avait menée petit garçon, adolescent et jeune homme. Mais ce retard n’allait-il pas être suivi d’une réaction d’autant plus violente ?
Question redoutable, que Myrtile n’osait se poser ? A quoi bon du reste envisager un avenir qu’on ne connaissait pas ? Myrtile ne pouvait qu’attendre les évènements en se réservant de régler sa conduite sur ce qu’ils seraient. Elle n’avait pas de plan, pas de projet… elle verrait ce qui conviendrait le mieux : juguler, mater l’explosion de la virilité ou bien la refréner, la canaliser, user l’instinct viril ou bien l’étouffer sous la force grandissante des aspirations féminines.
C’est pourquoi la Comtesse cultivait si soigneusement ces dernières. C’est pourquoi aussi elle choisissait judicieusement la nature des services qu’elle imposait au jeune homme. Elle ne l’admettait plus dans sa salle de bain, elle ne I ‘appelait plus dans sa chambre avant son lever, elle ne l’y gardait plus jusqu’au moment de se mettre au lit ; elle ne voulait pas attiser ce feu qui devait couver en attendant une occasion propice pour éclater. Les contacts, les frôlements, les aperçus de chair nue, ce qui se révélait de suggestif tandis que Frida la coiffait, la chaussait, l’habillait, la gantait, la servait à table, c’était bien suffisant.
Myrtile n’aurait pas voulu supprimer toutes ces occasions d’intéresser la sensualité du jeune homme ; celle-ci, en effet, ne pouvait s’émousser que par 1’habitude ; en sevrant Frida de toute tentation, elle eut risque au contraire un cataclysme. Un de ces débordements de torrent déchaine auquel nulle force ne peut être opposée. Donc, elle graduait et limitait à la fois les tentations auxquelles Frida pouvait être sensible ; elle pensait qu’en les maintenant dans certaines bornes elle laisserait au jeune homme la possibilité de dominer son trouble, de demeurer correct, calme et soumis, en un mot de lui obéir.
Frida parvenait, en effet, à dissimuler les impressions que pouvait faire naitre en lui le service de la jolie femme qu’il était heureux d’avoir pour maitresse, si bien que celle-ci ne connaissait pas exactement la nature ni la force des sensations qu’il éprouvait. Elle se risqua à l’introduire un peu plus dans son intimité, à exiger des services moins anodins ; elle ne s’interdit plus de se laisser aller en sa présence a des poses abandonnées, qui eussent pu passer pour provocantes si elle avait eu en face d’elle autre chose qu’un esclave.
Ce qu’il était pour elle, Myrtile savait du Teste le lui rappeler ; s’il avait à lui toucher le bras nu ou l’épaule découverte, elle lui tendait impérieusement sa main a baiser ; s’il avait a lacer une haute botte, à tirer un bas sur un mollet ferme, à épingler une fleur a une jarretelle elle le ramenait au sentiment exact de la réalité en lui mettant rudement le pied sur la tête. Ainsi, il demeurait confiné dans son rôle d’esclave et ne pouvait qu’aimer davantage son esclavage.
En même temps, Myrtile encourageait chez lui la coquetterie la plus effrénée ; elle lui per mettait tout, bagues, colliers, bracelets, boucles d’oreille, fleurs, parfums, bijoux, rubans et dentelles ; elle le comblait des mêmes présents et ne lui ménageait pas les compliments lors qu’il se composait avec ces dons d’originales et seyantes parures. Par le jeu de ces moyens d’actions il pouvait arriver que la crise latente se dénouât en une folle aspiration masochiste dont elle eut été la divinité idolâtrée.
C’était tout ce que Myrtile aurait pu souhaiter de mieux ; comme elle était belle joueuse, elle résolut de s’engager dans cette voie, encouragée par l’idée que la réussite lui procurerait la sécurité et lui assurerait un esclave féminin absolument incomparable. Mais elle ne manqua pas de prendre ses précautions contre toute éventualité. Un matin qu’elle se trouvait seule dans son boudoir elle sonna ses deux caméristes italiennes, qui se présentèrent ensemble.
– Maria, Francesca, approchez ; j’ai à vous parler.
Les deux jolies filles s’avancèrent et, comme elles l’avaient vu faire a Frida, mirent un genou en terre devant la Comtesse.
– Relevez-vous et écoutez-moi.
Alors, les fixant l’une après l’autre, Myrtile leur dit d’un ton sévère :
– II peut se passer ici des incidents qui exigent que je vous aie tout de suite auprès de moi, II faudra donc que vous accouriez toujours au premier appel : deux coups de timbre quand je serai dans la maison, deux coups de sifflet si je me trouve au jardin ou dans le parc ; ce sifflet a un son aigu qui s’entend de très loin ; du reste quand je sortirai du château et que je vous en aurai prévenues, il faudra me suivre a distance, sans vous faire voir et vous tenir aux abords du lieu où je m’arrêterai. C’est bien compris ?
Les deux servantes ayant répondu affirmativement, Myrtile continua :
– II faudra m’obéir sans retard, sans hésitation, quand même l’ordre que vous recevriez vous paraitrait un peu bizarre. Si, par exemple, je vous disais d’attacher la personne que je vous désignerais, il faudrait aussitôt vous précipiter sur elle et lui lier solidement les mains derrière le dos. En prévision de cet ordre, que je peux avoir à vous donner, il faudra toujours être munies de cordes ; le plus simple serait que vous preniez I ‘habitude de porter à votre taille, en guise de ceinture, une cordelière de soie, qui pendrait sur le cote et aurait l’air d’un ornement, mais qui devrait être facile à dénouer. Sauriez-vous vous acquitter adroitement de cette tache ?
– Je suis vive, dit Maria.
Et la grande Francesca :
– Moi, je suis forte.
La Hongroise se tut un instant et reprit :
– II ne faudra d’ailleurs vous étonner de rien ; s’il vous arrive de voir un homme ou une femme portant les vêtements de l’autre sexe, il ne faudra pas que la surprise vous fasse oublier mes recommandations ou vous retarder dans l’ exécution de mes ordres ; il faudra aussi savoir vous taire et ne jamais dire à personne ce que vous aurez vu, fait ou entendu Cela, c’est la première chose à me promettre, à me jurer.
Déjà Maria levait la main, la Comtesse l’arrêta du geste et poursuivit :
– Je vous laisse d’ailleurs libres d’accepter ou de refuser et vous pouvez attendre jusqu’à demain pour me donner votre réponse. Si vous acceptez, votre avenir est assure, je dépose à votre nom chez un notaire une grosse somme qui vous donner de l’aisance jusqu’à la fin de votre vie ; si vous refusez, vous quitterez, naturellement mon service. Vous viendrez me parler quand vous aurez réfléchi.
– Pourquoi attendre ? fit vivement Maria, nous sommes dévouées à Madame la Comtesse ; nous lui serons fidèles comme des chiennes.
– Tu dis « nous », Maria ; tu paries donc au nom de Francesca ?
La grande fille prononça avec une humilité qui atténuait 1’eclat de ses yeux de braise :
– Si Madame la Comtesse le voulait, nous serions ses esclaves.., comme Frida.
– J’y consens et je doublerai la somme si votre obéissance est absolue et si votre dévouement ne se dément jamais.
– Madame la Comtesse peut doubler la somme dit Maria en joignant les mains et en abaissant ses paupières sur ses yeux qui pétillaient.
– Vous savez, objecta Myrtile, qu’il peut vous arriver d’être battues ; une maitresse a tous les droits et une esclave est exposée à recevoir des coups.
– Notre maitresse peut doubler la somme, répéta simplement Francesca.
– Jurez donc de m’obéir en tout, de vous taire sur tout et d’accepter d’avance toutes les conséquences d’une désobéissance, si vous aviez le malheur d’en commettre une, prononça-t-elle avec une impressionnante autorité.
Subjuguées, les deux Italiennes tombèrent à genoux en jurant sur la Madone qu’elles obéiraient comma des esclaves et qu’elles ne révèleraient jamais rien a personne. Puis toutes deux rampèrent sur le tapis pour se rapprocher du fauteuil ou était assise la Comtesse et lui embrasser chacune un pied. Les lèvres fraiches se posèrent sur le satin clair des petites pantoufles et y restèrent dévotement appuyées. Quand les Italiennes se furent relevées, Myrtile leur remit les cordelières de soie qui devenaient l’insigne de leurs nouvelles fonctions et les deux filles sortirent en ceinturant leur taille souple.
Tandis qu’elles s’éloignaient, Myrtile les suivait d’un regard amuse. Elle songeait :
Voici des esclaves aisément conquises ! II me sera certainement facile de conserver mon ascendant sur elles ; avec de tels gardes du corps je puis tenter tout ce qui me passera par la tête. Désormais je n’ai plus à craindre aucune surprise de la part de Frida, et je pourrai laisser aller les choses jusqu’au jour où il sera devenu nécessaire de recourir au grand moyen, à cette suprême précaution qui m’a été enseignée à Paris et que je rapporte dans mes bagages.
Cette pensée fit flotter sur ses lèvres sinueuses un inquiétant sourire ; si Fred avait su à quels raffinements elle songeait, il aurait eu peur de l’avenir. Cette idée semblait séduire la Comtesse, car elle la caressa complaisamment et conclut à mi-voix, transportée pair les visions qui se succédaient dans son esprit :
– Tout de même, ce serait pour Fred le comble de l’asservissement !… Qui aurait cru que les circonstances allaient ainsi reculer les limites de mon pouvoir ?… Braves filles !… Je ne doublerai pas la donation ! Je la triplerai.
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