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Toi je vais te baiser

Toi je vais te baiser



Hier soir, j’ai pris le métro, comme chaque jour.

Et fidèle à mes habitudes, je n’ai pas mis les écouteurs, fidèle à mes habitudes, je me suis installé dans un coin de la rame à moitié vide et j’ai observé les gens. Ceux qui rentraient du boulot, ceux qui partaient à l’apéro, ceux qui allaient au restaurant, au cinéma, ceux qui n’allaient nul part mais qui étaient là, tout de même.

J’étais là, occupé à observer mes compagnons de voyage de quelques minutes quand je les ai vus, à l’autre bout, contre la vitre. De loin, on aurait pu penser que c’était un jeune couple en train de se disputer. L’homme se tenait à quelques centimètres de la jeune femme, la main sur son poignet et il semblait être parti dans un long monologue pour la convaincre de rester. J’essayais d’imaginer ce qu’il avait bien pu faire pour qu’elle l’ignore à ce point. Sûrement une histoire de tromperie. C’est ce que j’ai cru, au début. Mais quelque chose dans le regard de l’homme m’a fait changer d’avis. Alors, je me suis approché de quelques mètres, tout doucement. La jeune femme avait le visage tourné vers la vitre, elle semblait tétanisée. Je me suis approché encore, pour écouter ce que l’homme lui disait, collé à elle. (Toi j’vais te baiser tu sais oh oui j’vais te baiser salement et tu vas aimer ça hein bien sûr que tu vas aimer ça mmh allez t’écoutes ce que j’dis petite pute réponds petite salope j’sais que tu en as envie je l’ai vu dans ton regard de petite chienne en chaleur fallait pas porter une jupe si t’es pas intéressée ouais toi j’vais te baiser…) La jeune femme ne disait rien, le regard fixé sur son reflet, sans sourire, pétrifiée.

Autour d’eux, les gens rentraient du boulot, partaient à l’apéro, allaient au restaurant, au cinéma, et il y avait ceux qui n’allaient nul part mais qui étaient là, tout de même. Et personne ne semblait remarquer ce qu’il se passait sous leurs yeux, chacun dans leurs bulles, trop occupés à lire, (Toi j’vais te baiser) à écouter de la musique ou à détourner le regard, prêts à changer de métro dès que les portes s’ouvriraient. L’homme se collait de plus en plus, sa main sur la cuisse de la jeune femme, (Toi j’vais te baiser), je pouvais voir ses doigts ramper sur sa peau, essayer de s’infiltrer remontant toujours plus haut sous la jupe et la jeune femme ne disait toujours rien, (Toi j’vais te baiser), le rouge au front, aussi immobile qu’une statue de cire dont la volonté venait de fondre.

Que faire, détourner le regard, (réagis) se persuader qu’ils sont en couple, (réagis), que ce ne sont pas mes histoires, partir, prendre le métro suivant, (réagis) après tout, je ne suis pas à quelques minutes près, (oui mais la jeune femme ne semble pas bien aller du tout) je vais descendre, je ne vais pas m’en mêler, (RÉAGIS PUTAIN). C’est fou comme la peur nous paralyse dans ces moments-là, vraiment.

Mais je me suis assis à côté d’eux et tout en croisant le regard de la jeune femme, je lui ai dit, « Hey Camille! Ça faisait un bail que je ne t’avais pas vue! Comment ça va, ma cousine? » puis me tournant vers l’homme, avec un grand sourire, »je ne vous dérange pas, j’espère? » Ces quelques mots ont suffit à la jeune femme pour reprendre vie, et comprenant ce que je tentais de faire m’a suivi dans ma brève comédie familiale. L’homme a immédiatement retiré sa main, comme si les fils de sa marionnette venaient de se couper, comme s’il venait de se brûler au contact de la peau de la jeune femme. Sans un regard, il s’est levé, et il est sorti de la rame sans se retourner.

Après m’être assuré que la jeune femme allait bien également, je suis parti aussi.

—–

(Je n’ai pas écrit ce texte dans le but de me glorifier pour un acte citoyen qui devrait être quelque chose de banal. J’ai écrit ce texte pour montrer qu’avec quelques mots, on peut renverser une situation, on peut intervenir et ne pas regarder une agression se dérouler sous nos yeux sans rien faire. J’ai écrit ce texte pour donner encore un témoignage de plus sur le harcèlement de rue, dans les transports en commun, pour montrer que cette oppression sur les femmes n’est pas un mythe.)

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