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Tu es en train de me dire que je suis cocu jusqu’à

Tu es en train de me dire que je suis cocu jusqu’à



Auteur : Tito40

J’ai fini par accepter. Ça faisait plusieurs mois qu’à chaque fois que je le croisais, il me faisait cette proposition saugrenue. Au début, j’avais pris ça pour une plaisanterie, mais il était sérieux. Sérieux au point de me supplier de tenter l’expérience. Vous savez, si le papillon ne se déplace jamais en ligne droite, c’est simplement parce qu’il ne cherche pas à aller quelque part en particulier.

Mon métier de régisseur, je l’adore. Mon studio, puisque je le considère comme le mien tellement je m’y investis, je l’adore. Mes clients, qu’ils soient producteurs ou metteurs en scène, photographes ou musiciens, je les adore. J’organise tout pour eux, des décors à l’éclairage, du son aux collations, de la logistique, des horaires, de l’hébergement. Je m’occupe de tout. C’est tellement valorisant de me dire que tel clip ou tel film ou telle photo s’est réalisé chez moi. Et côtoyer des gens connus, des bombes du cinéma, des stars de la chanson, tout cela est aussi assez glorifiant pour moi.

Ma femme, Gloria, adore ce que je fais. Nous nous sommes connus sur un plateau alors que j’étais stagiaire et elle éclairagiste. C’était il y a douze ans. Le coup de foudre. Depuis, nous nous sommes mariés et nous avons deux magnifiques enfants qu’elle élève. Tout roule pour nous à la fois dans notre vie sociale, notre vie intime, et financièrement ce n’est pas mal du tout.

Gloria se trouve quelconque, et pense que les années qui passent la desservent. C’est fou comme les femmes, souvent, manquent de confiance en elles. Gloria est splendide, pétillante, intelligente, douce, coquine. Plus je la regarde et plus je la trouve belle. Pourtant j’en croise des bombes, mais elles ne me font jamais autant d’effet que mon épouse. Elle est la beauté même, cette beauté méditerranéenne faite de peau mate, d’yeux noirs larges en amande, de seins fiers, de fesses hautes, de jambes longues, et de cette posture de déesse qui vous intimide dès qu’elle se tient devant vous. Et quand elle remonte ses longs cheveux noirs sur sa tête en chignon, je craque.

Elle est tout pour moi. Et je crois être tout pour elle. J’ai tellement vu de couples se déchirer pour des âneries que je suis fier de notre longévité. Les seuls frottements qui ont pu avoir lieu, ce sont mes scènes de jalousie. J’aime quand des hommes la regardent, mais je ne supporte pas qu’elle les aguiche. Je voudrais qu’elle ne soit belle que pour moi, qu’elle ne regarde que moi, qu’elle n’ait envie que de moi, qu’elle ne pense qu’à moi, que ses fantasmes ce soit moi et encore moi. Alors c’est compliqué quand elle me dit qu’untel lui a parlé de ceci ou de cela. J’ai toujours tendance à penser qu’aucun homme ne peut l’aborder sans avoir envie de la mettre dans son lit. Ça m’obsède et ça me hante. Pourtant elle est fidèle, j’en suis certain, mais je ne peux pas m’empêcher de ronchonner.

Et avec le temps, ça ne s’arrange pas. Elle est de plus en plus belle, et moi je décline. Elle me dit que non, mais je le sais, je le sens. Je me sens plus fatigué, je suis moins endurant. Et les rides confirment que le temps passe. Les siennes sont jolies, les miennes affreuses. Alors oui, j’ai peur de la perdre.

Alors quand Rodolphe Serez m’a demandé si j’accepterais que Gloria tourne dans un de ses épisodes, j’ai vraiment cru qu’il déconnait. Je connais Rodolphe depuis cinq ans. Il tourne des films érotiques – une chaîne nationale – à raison de neuf formats moyens par an. Ce sont en général des films assez légers dans lesquels le scénario est juste un prétexte pour montrer des jolies filles timides séduites par les muscles saillants de jeunes éphèbes bien montés qui les mènent tout droit au paradis. Ce qu’il m’a proposé, c’est de concevoir un scénario un peu plus solide, et de faire jouer Gloria dans un rôle étoffé.

La première fois, j’ai rigolé. La seconde, aussi. À la troisième, je me suis mis en colère. Je pensais que c’était pour lui un moyen de voir Gloria nue afin de se rincer l’œil, voire même pour tenter de la séduire. Il a argumenté, développé le scénario auquel il pensait, et s’est tu quand j’ai tapé sur la table.

En rentrant à la maison, j’en avais parlé à Gloria qui avait trouvé, comme d’habitude, que je me mettais en colère pour pas grand-chose. Ensuite, elle m’a un peu fait la morale en me répétant que de ne pas lui faire confiance finirait par détruire notre couple, qu’elle pensait que je ne l’aimais pas assez, que je ne la trouvais pas assez jolie etc., etc. Si bien que je me suis demandé si l’idée, au fond, ne lui plaisait pas un peu quand même.

Elle l’a fait, ce film, et ça a été un véritable calvaire pour moi.

La voir ainsi offerte aux caméras avec tous ces techniciens qui mataient, ça m’a donné des envies de meurtre. L’entendre dire à un mec qu’elle l’aime, ou la voir toucher un torse glabre, embrasser, se faire caresser, tout ça fut totalement insupportable. J’ai tenu bon, pour lui montrer qu’elle avait tort, que je lui fais confiance, mais bordel, que ce fut difficile ! Les scènes de sexe étaient évidemment simulées mais elle jouait si bien que par moment j’ai eu des doutes sérieux. Heureusement, toute l’équipe était très pro. Pas de remarques graveleuses ni de mains au panier. Ils étaient là pour faire un film, et ils l’ont fait.

La vie a ensuite repris son cours et nous n’en parlions plus trop, jusqu’au moment où le film a été mis au programme d’un samedi soir sur la TNT. Nous l’avons regardé ensemble. Gloria y allait sans cesse de ses remarques d’autodénigrement pendant que je me régalais de ces images somptueuses.

— Mes fesses sont trop grosses.
— Je les trouve très bien moi. Magnifiques, même.
— Arrête, c’est limite indécent !
— C’est vrai. Mais putain, que c’est beau…
— T’es gentil, mais j’ai un peu honte, là. T’as vu ce qu’elle fait ?
— Mais on sait tous les deux que tu ne le fais pas.
— Bien entendu, oui, mais les gens qui regardent le film pensent que c’est du réel.
— Mais non, ils savent bien. Ce n’est pas un film porno.
— Ouais, quand-même… T’as vu ma tête quand je fais semblant de jouir ?
— Oui. La même que quand tu jouis vraiment.
— Ouh-là-là, c’est vulgaire.
— Vulgaire ? Je ne dirais pas ça, moi. C’est sensuel, sexuel, chaud, bouillant, mais pas vulgaire du tout.
— Ils m’avaient dit qu’ils couperaient ça au montage.
— Quoi donc ?
— On voit mon sexe.
— Oui, bon, rien de bien méchant.
— Quand même, ils devaient couper… ça me gêne.
— Moi pas. Je le trouve très joli.
— Ouais… Et lui, on ne devait pas voir ça !
— Son sexe ?
— Oui, son sexe. Ils ne devaient pas montrer ça… C’est du porno, là !
— Hé, tu exagères. Il ne bande pas. Il y a plein de films où on voit des hommes nus furtivement, ça n’a rien de grave. Et puis c’est interdit aux moins de 8 ans.
— Je sais, oui. Mais tu vois, là, quand il se couche sur moi, on se doute bien qu’il ne va pas rester mou.
— En effet, oui, on peut se poser la question… Mais il est resté mou en vrai, ou pas ?
— Bah non.
— Et tu avais les cuisses grandes ouvertes ?
— Tu vois bien, oui.
— Hou-là-là…
— T’inquiète pas, hein. Ce mec est un pro : il a laissé son sexe à l’extérieur. Encore heureux !
— En tout cas, tu as l’air d’aimer ça. Tu joues bien.
— Merci, mon amour. Je pensais à toi en même temps ; ça m’a motivée.
— C’est gentil, ça. Motivée ? Ça veut dire que tu avais vraiment envie ?
— Ça doit être impossible de rester froide. Regarde, il m’embrasse, il caresse mes seins, je sens son sexe tout raide contre mon ventre et il fait semblant de me pénétrer. Et en plus je ferme les yeux en pensant à toi. C’est pour ça que tu trouves que je joue bien.
— Ça veut dire que tu étais mouillée à ce moment-là ?
— J’avoue, oui. Un peu…

Nous avons rejoué la scène. Gloria, tout en commentant les images, s’était saisie de mon sexe déjà tout dur. Elle s’est allongée sur le dos, comme dans le film, et m’a attirée contre elle. Je ne sais pas combien de téléspectateurs étaient à ce moment précis en train de regarder ce film, seuls ou pas, excités sans doute par ce qu’ils voyaient, mais moi j’avais l’originale, légère, chaude comme une baraque à frites, et disposée à me montrer à quel point.

C’est assez curieux tout de même de se trouver ainsi entre les cuisses de sa femme, en la voyant en même temps avec un autre, bien plus beau, bien plus musclé, bien plus endurant, lui donner un plaisir factice qui a les mêmes symptômes qu’un vrai. Ça m’a un peu perturbé, au point de me couper la chique.

La vie a repris son cours, mais ce que nous n’avions pas anticipé, ce sont les regards plus ou moins discrets qui se posaient sur ma douce dès que nous sortions. Des hommes surtout, qui avaient dû se palucher en la voyant nue dans ce téléfilm et qui la reconnaissaient dans la rue, ou croyaient la reconnaître. On s’est dit que ça passerait assez vite, mais ça a tout de même duré quelques semaines.

Un point que je n’ai pas mentionné jusqu’ici, puisqu’il nous semblait assez accessoire, c’est le cachet. Gloria apparaissait au générique sous un faux nom, assez loin dans la liste des comédiens. En septième position pour être précis. Eh bien elle a pris un chèque qui nous a permis de changer de voiture. Pas mal, non ? Elle ne l’a pas fait pour l’argent, et ce n’est pas non plus pour cette raison que j’ai accepté, mais la production ne s’était décidément pas moquée d’elle.

Seulement, une fois la diffusion faite, nous pensions que ça en resterait là. C’est pourtant revenu assez vite. Un magazine, d’abord, qui voulait faire une séance photo pour illustrer un sujet sur les femmes mûres sans complexes. Ça nous a beaucoup fait rire. Ils avaient eu le numéro de téléphone de Gloria par la prod, et l’ont relancée plusieurs fois.

Il ne se passait plus une journée sans qu’elle soit sollicitée. Sa prestation avait dû être convaincante pour les professionnels de l’image pour qu’ils soient ainsi à lui mettre la pression. Je me repassais souvent le film, en douce, pour l’admirer à nouveau, et c’est vrai que même pour un non spécialiste, elle a quelque chose de magique à l’écran.

Et puis un soir, c’est le réalisateur du premier téléfilm qui l’a appelée. Il venait de prendre une commande pour un film d’auteur, quelque chose de très construit, et il voulait lui en parler et faire quelques tests avec elle. C’était la promesse d’un rôle assez complexe, et il voulait vérifier qu’elle serait capable, au-delà des scènes un peu chaudes, d’exprimer des sentiments divers, de donner la réplique à des vrais comédiens tout en gardant sa fraîcheur et, lui a-t-il dit, de transpirer un érotisme torride.

C’était aussi la promesse d’un cachet dix fois plus élevé.

Le soir même, quand Gloria m’en a parlé, je me suis retrouvé perdu entre des sentiments contraires. Gloria, elle, était très tentée de dire oui.

— Pour te proposer une telle somme, ils vont te demander de renoncer à toi-même !
— Mais je ne ferai pas ça pour l’argent.
— Pour quoi, alors ?
— C’est l’idée de se dépasser, de se transcender, de jouer qui me plaît.
— Mais tu n’es pas comédienne…
— Boris (le réalisateur) me dit que, justement, il a besoin de quelqu’un de naturel, qui ne joue pas, une personne à laquelle toutes les femmes de mon âge pourraient s’identifier.
— Tu connais le scénario ?
— Il m’a raconté rapidement, oui, mais je lui fais confiance. C’est l’adaptation d’un roman d’Agnès Ledag, une histoire de veuve séduite par un homme de passage qui, lui, est marié. C’est un drame avec des scènes assez chaudes. Elle veut le retenir, et lui est toujours amoureux de sa femme. Il profite de la veuve mais joue sur tous les tableaux. Je jouerais la veuve, et une jeune actrice aurait le rôle de l’épouse trompée.
— Bref, une histoire de cul assez classique.
— Il me dit que non. Il y a vraiment une histoire forte derrière tout ça, des jeux d’acteurs très compliqués, des dialogues entre la femme et la maîtresse, des mensonges ; enfin, c’est visiblement compliqué. Il me dit que ce serait de la même veine que « La vie d’Adèle » ou « Q ».
— Ouh-là-là ! Ces deux films n’ont qu’un point commun : c’est que les scènes de sexe sont particulièrement réalistes.
— C’est ce qu’il veut. Que ce soit très réaliste.
— Tu n’as pas peur ?
— Si, un peu. Et toi ?
— Quoi, moi ?
— Tu accepterais que je joue ce rôle si je réussis l’audition ?
— C’est compliqué pour moi. J’ai mal vécu ton premier tournage. C’était terriblement douloureux. Mais le résultat est magnifique. Tu es magnifique. Je ne me sens pas en droit de t’empêcher de réaliser un rêve.
— Je n’avais pas rêvé de ça jusqu’à maintenant.
— Mais maintenant oui. Écoute, t’occupe pas de moi. Si tu as envie de jouer ce rôle, fonce !

J’ai dit ça sans réfléchir. Un instant je suis resté en apnée, comme si mon cœur était remonté sous ma gorge. La douleur du premier tournage avait déjà été quasiment insupportable ; qu’en serait-il du second ?

Gloria est allée à son audition un jeudi matin. Ça leur a pris trois jours pour rencontrer et pour tester les comédiennes amatrices qu’ils avaient présélectionnées. Le lundi suivant, un appel du réalisateur lui a confirmé qu’elle était retenue pour le rôle. Elle n’avait plus qu’à passer à son bureau pour signer le contrat et à prendre possession de son rôle. Le tournage avait lieu trois mois plus tard, dans l’arrière-pays niçois. Pas un instant je n’avais pensé que le tournage pourrait avoir lieu ailleurs que dans « mon » studio, et pourtant c’était assez clair.

Avant le tournage, il y avait pas mal de rendez-vous organisés pour les essayages costumes, des répétitions, des séances photo et autres entretiens avec l’équipe. Ces trois mois ont passé à la vitesse de la lumière. La production avait privatisé un hôtel pour loger l’équipe de tournage et les comédiens, et plusieurs lieux de tournage avaient été décorés, en particulier une ferme isolée où devait se passer la première rencontre. Je n’ai pas tout compris à l’ordre des prises de vue tellement c’est compliqué de se faire une idée de ce à quoi ressemblera le montage, d’autant que les trois premières semaines, je n’ai pas pu me rendre dans le Sud. Gloria est partie seule et me tenait au courant chaque soir de ce qu’elle avait fait dans la journée. Le plus souvent, c’était « attendre ». Attendre le bon éclairage, attendre que les décors soient terminés, attendre que les autres comédiens soient prêts, attendre qu’on retouche le maquillage. Elle était en réalité assez déçue. Le tournage du téléfilm avait été rapide, dans l’ordre du scénario, et le montage avait été assez simple à lire. Peu de temps morts, peu de temps sur place. Là, il s’agissait d’un véritable film d’auteur, complexe, intimiste, avec des prises de vue d’une précision horlogère.

La troisième semaine, enfin Gloria a été sollicitée. Le réalisateur, exigeant, lui a fait rejouer de nombreuses fois des scènes sans dialogues, puis refait faire des dialogues également à de nombreuses reprises. Ça n’allait jamais comme il voulait. Je l’ai sentie perturbée, prête à lâcher l’affaire, à partir en courant. Le mercredi soir, elle me disait qu’elle avait hâte que j’arrive pour qu’on passe le week-end ensemble, qu’elle en avait marre, simplement.

Le jeudi, changement de ton. Radical. Elle était entrée dans le dur, c’est-à-dire dans le tournage d’une scène un peu chaude, et j’ai senti à sa voix dès qu’elle a décroché que la phase de doute était plus ou moins passée.

Son partenaire dans le film, un acteur connu, s’était montré charmant. Lui – c’est sans doute son statut qui le lui permettait – venait seulement d’arriver et repartirait au milieu de la semaine suivante. Il n’était bloqué là que pour six jours, pas un de plus, et toutes les scènes où il apparaissait devaient donc être dans la boîte entre-temps, quitte à terminer tard le soir et à bosser le week-end. Le week-end. Quand j’ai entendu « week-end », j’ai senti la moutarde me monter au nez. La promesse d’un week-end pour nous deux était donc caduque, et si je venais, c’était pour me mettre dans un coin et les regarder travailler.

Le vendredi soir, lors de notre conversation, Gloria m’a semblée à nouveau un peu perdue, et surtout fatiguée. Elle avait enchaîné les prises de vue toute la journée et devait retourner en plateau après le dîner. L’acteur principal était toujours aussi charmant et compréhensif avec les amateurs tels que Gloria, mais voulait tourner ses scènes, évidemment, dans les temps. Ils avaient passé la journée dans une ferme, lieu de la seconde rencontre entre Mathilde (le prénom de Gloria dans le film) et Hector (celui à qui elle donne la réplique). Mathilde est une femme solitaire qui aime les rencontres furtives, mais refuse de s’attacher à qui que ce soit. Elle accepte facilement qu’un homme la mette dans son lit et se montre très active, mais dès leurs ébats terminés, elle refuse qu’une relation humaine s’installe. Du sexe, que du sexe. En réalité, elle a peur de tomber amoureuse et fait tout pour que ça n’arrive pas. Ce sont des flashbacks sur son enfance (un rôle tenu par une jeune qui a déjà terminé ses scènes au moment où Gloria tourne).

Gloria – ou plutôt Mathilde – devait donc, à l’arrivée d’Hector, se montrer à a fois heureuse de le voir, et inquiète de le revoir. Ils sont supposés avoir déjà couché ensemble une fois (scène qui doit être tournée plus tard). Mathilde et lui ont vécu une nuit d’amour intense, mais pour elle ça devait être un moment unique. Et là, elle est troublée. Elle doit montrer son envie et son aversion dans la même scène, une scène durant laquelle il la serre dans ses bras mais on sent bien qu’elle est réticente. Lui se montre un peu déçu mais insiste. Elle accepte qu’il entre pour boire un café. Ils restent de part et d’autre d’une petite table à boire leur petit noir en se regardant sans rien dire, puis à un moment il pose une main sur celle de Mathilde pour la caresser. Elle fond, oublie ses principes. Il se lève et la serre contre lui. Elle ne résiste plus. Coupez.

Gloria m’a peu parlé de tous les détails, elle n’avait pas le temps. Mais j’ai bien compris l’intensité de cette scène, aussi bien que j’ai compris que le soir, dans la même ferme, ils devaient tourner la scène de leurs premiers ébats, dans une ambiance a****le et spontanée, puis la seconde, plus tendre, durant laquelle les caresses prendraient une part plus importante. Quand Gloria m’a parlé ce ça, je suis resté interdit, stupéfait. Je savais, pour l’avoir vue à la télévision, qu’elle allait crever l’écran. Je redoutais aussi – et c’est bien légitime – qu’elle se bloque à l’idée d’en faire trop.

J’ai pris le premier avion du samedi matin pour Nice, puis loué une voiture pour rejoindre le lieu de tournage à une heure de route. Il faisait frais, mais le ciel était déjà d’un bleu éclatant. Ça promettait une belle journée ensoleillée.

Ce sont tout de même des traits tirés que me renvoyait le miroir du rétroviseur. Je n’avais pas bien dormi, angoissé sans doute par le risque que prenait notre couple dans cette histoire. Mais comme le papillon qui vole sans but, j’étais bien incapable de décider quoi que ce soit. J’allais où le vent et mes émotions voudraient bien me conduire. Et je n’étais plus dans mon studio, ce lieu que je maîtrisais.

À mon arrivée, j’ai dû montrer patte blanche aux vigiles qui fermaient le site. Des malabars que, lorsqu’ils vous pissent dessus, vous n’avez pas forcément envie de mettre en colère en les repoussant. J’ai pu ensuite rouler vers le parking déjà bien plein.

La ferme était entourée de dizaines de camions de matériel avec des techniciens qui allaient dans tous les sens. J’ai entendu une sirène stridente, puis le silence. La sirène de mon studio indique qu’un tournage est en cours. J’ai compris. Il me fallait rester discret pour ne pas fâcher les malabars de l’entrée. Je me suis dirigé tout doucement vers l’entrée de la cour de la ferme où j’ai pu apercevoir un endroit particulièrement éclairé au rez-de-chaussée. Un type m’a fait signe de ne plus bouger. J’ai attendu que le bruit revienne, naturel : ça signifiait que les caméras venaient d’être coupées. Des techniciens se sont remis à faire des essais avec une Louma pendant que d’autres roulaient un travelling perpendiculaire au bâtiment, matériel qui servirait peut-être plus tard.

Je me suis dirigé vers l’entrée, timide et inquiet, jusqu’à apercevoir le lieu de tournage entouré d’un monde fou. Plusieurs caméras avec à chaque fois un cadreur, des éclairagistes derrière leurs pupitres, des perchistes, des maquilleuses avec leurs petites valisettes, toute cette faune que j’étais habitué à voir dans mon studio pendant les tournages. Puis enfin les comédiens. Gloria, resplendissante en Mathilde, et son partenaire dans le film, un acteur célèbre dont je tairai le nom, bien plus mince et petit que ce que nous disent les images dans les films où il a joué. Il était en train de discuter avec le réalisateur, debout à côté d’une lourde table de ferme en chêne massif. Il était vêtu d’un pantalon de velours, style gentleman farmer, et d’une chemise blanche en lin, froissée et sale. Gloria était assise de profil ; une maquilleuse était affairée sur son visage blafard, sans doute un effet de cette lumière qui me semblait trop blanche, blanche comme sa robe, de style campagnard, lourde et longue.

Puis tout à coup j’ai vu de l’agitation. L’acteur a semblé parler avec agacement, puis s’est retourné vers Mathilde avant de faire trois pas en arrière. La maquilleuse s’est éloignée. J’ai entendu « Silence ! », puis le son d’une sirène. Le silence s’est fait instantanément après un clap. C’était la troisième prise.

Mathilde entend du bruit derrière elle et fait volte-face. Hector vient d’entrer. Il se tient face à elle, à environ deux mètres. Elle lâche le bol qu’elle tenait à la main et semble tétanisée. Il s’approche d’elle, lentement. Elle recule jusqu’à se trouver collée à la table sur laquelle elle pose les mains en arrière. Il continue d’approcher. Elle ne peut plus reculer. Ils sont maintenant face à face, à quelques millimètres. Elle ôte ses mains de la table pour le repousser. Elle pousse son torse, les deux mains à plat. Hector ne recule pas. Il se penche vers elle et l’embrasse. Elle semble résister, puis ses mains quittent le torse d’Hector. Elle les laisse ballantes. Leurs bouches sont collées, et puis ça s’enflamme. Il dénoue la robe par le devant. Elle a mis ses mains derrière la tête d’Hector. Je vois les langues, je vois les regards, je vois l’excitation dans leur attitude. Le haut de la robe tombe ; les seins de Mathilde sont fiers et lourds. Hector les caresse avec fougue, les pince et les tire. Elle le laisse faire, semble en transe. Il tente de passer une main sous la robe mais elle le repousse, et cette fois avec conviction. Il se recule d’un pas. Mathilde le regarde dans les yeux, l’air coquin, puis ôte la ceinture de sa robe qui cette fois tombe au sol. Elle porte une culotte de mamie, en coton blanc, qu’elle fait rouler sur ses cuisses puis sur ses jambes. Son sexe est visible, noir comme ses cheveux. Sa peau est satinée. Mathilde est resplendissante, et elle s’offre. Hector a quitté sa chemise. Le cadrage le montrera sans doute plus beau qu’il n’est en réalité. Il s’approche d’elle en défaisant sa ceinture. Elle se retourne et pose ses mains sur la table.

Je ne sais pas quelle caméra sera choisie au montage, j’en vois au moins quatre qui filment. Le réalisateur ouvre de grands yeux. Les techniciens sont concentrés. L’éclairagiste ajuste ses appareils lentement.

Mathilde offre sa croupe à Hector qui s’agenouille pour regarder de près ce que je vois de loin : un cul magnifique, rond et ferme. Ses mains sont sur les hanches de Mathilde qui se cambre quand la tête de l’homme s’approche. D’où je suis, je ne vois pas ce qu’il fait mais j’imagine qu’elle peut sentir son souffle, que peut-être même il la touche. J’espère que non. Elle se tortille. Qu’est-ce qu’elle joue bien ! Puis il se redresse, se penche sur elle, se frotte à elle. On voit ses fesses glabres apparaître à mesure que son pantalon descend. Ses cuisses nues frottent les cuisses nues de Mathilde. Ses mouvements deviennent réguliers, amples. Il simule une pénétration. Elle souffle fort, prononce des mots que je n’entends pas, se cambre davantage. C’est une scène de baise, tendre, longue. Elle tourne son buste et son visage vers lui. Elle veut être embrassée. Il se penche vers elle sans cesser ses mouvements et leurs langues se lient, suaves et agitées. Les mouvements s’accélèrent. Mathilde simule un orgasme fulgurant pendant que lui râle comme quelqu’un qui éjacule. Il se fige, le bassin tendu vers le haut, comme s’il lui inondait la chatte. C’est somptueux. C’est réaliste.

J’entends « Coupez ! » et je vois au visage éclairé du réalisateur que la prise est bonne, que les comédiens ont donné ce qu’il attendait. Tout le monde semble ravi. Hector se retourne. Son sexe est encore gonflé, comme s’il venait de bander et que ça redescend tout doucement. Mathilde se redresse et une assistante lui tend la robe. Elle est rouge pivoine, montre un sourire béat, un air satisfait. L’assistante lui tend une serviette. Mathilde s’en saisit et s’essuie entre les cuisses. Cette vision est anachronique. Quelque chose cloche. Elle s’essuie parce qu’elle mouillait pendant cette scène, ou c’est pire que ça ?

Je reste scotché devant cette effervescence du plateau juste après la prise. Les caméras se mettent en mouvement en même temps que les techniciens qui changent tout le matériel d’endroit. Je suis le flux, docile. Gloria a passé un peignoir bleu nuit et se dirige elle aussi vers la pièce suivante dont un mur a été démonté pour ouvrir un espace suffisant. C’est une salle de bain à l’ancienne, une pièce dépouillée avec en son centre une lourde baignoire en fonte et ses robinets argentés. Un miroir pigmenté et usé au-dessus d’un meuble de bois massif, quelques tapis, le tout éclairé subtilement d’une lumière jaunasse. Une caméra est située en suspension au droit du lavabo. Une se positionne en bout de la baignoire, une autre est juste devant moi. Je me déplace légèrement. Les maquilleuses s’affairent sur Mathilde. Je ne vois plus Hector.

Les maquilleuses et techniciens s’éloignent sur ordre de l’assistant du réalisateur et le silence se fait presque immédiatement. Mathilde quitte son peignoir, qu’elle pose sur un tabouret. Une sirène, puis « Moteur ! »

Mathilde se prélasse dans son bain. La caméra en suspension se déplace lentement, les deux autres tournent également. Le réalisateur est assis sur un tabouret, observe la scène, fait quelques gestes à ses assistants. Puis elle se lève, le corps plein de mousse. Mon Dieu, qu’elle est belle ! Elle attire la lumière. Elle att**** le peignoir et le passe avant de se diriger vers le miroir. Elle s’essuie les cheveux à l’aide d’une petite serviette qu’elle pose ensuite sur le meuble. Il n’y a pas un bruit sur le plateau. Mathilde se regarde dans le miroir défraîchi. Elle semble pensive, se tire les cheveux en arrière, se regarde à nouveau.

On entend une porte qui couine. Mathilde se retourne. Hector entre sur le plateau. Ils semblent l’un et l’autre surpris de ressentir une telle émotion en se voyant. Une émotion reptilienne, très perceptible dans le rythme. L’homme s’approche d’elle. Elle se recule contre le vieux meuble et y pose ses mains en arrière. Il tire la ceinture du peignoir et dévoile le corps magnifique de Mathilde. Elle écarte ses jambes, s’offre ostensiblement aux caresses d’Hector.

Il ôte sa chemise, son pantalon, son slip kangourou et s’approche à nouveau d’elle. Ils sont beaux, ils transpirent l’envie de sexe, la luxure débridée. Il l’embrasse, la caresse. Je les vois de profil. Elle a passé une main entre leurs corps et lui caresse le sexe. Les caméras saisissent cet instant d’un incroyable érotisme. Le sexe de l’homme change petit à petit de dimension. Elle bascule sa tête en arrière et se frotte l’engin devenu dur entre les cuisses. C’est saisissant de réalisme. Elle se trémousse. Il imprime quelques poussées après avoir fléchi ses jambes. Les corps se rapprochent de plus en plus, puis elle retire sa main. Il la presse contre lui et on dirait vraiment qu’il la pénètre. Je sais que non. Les images sont trompeuses, mais c’est un film d’auteur, pas un porno. Ils font l’amour debout, en tout cas c’est que diront les images une fois montées. C’est tellement beau, un homme et une femme qui communient dans le plaisir ! Elle est tellement belle avec lui !

Il finit de faire tomber le peignoir tout en simulant sa besogne, puis la décolle du sol comme si elle ne pesait rien. Elle passe ses jambes autour du bassin de l’homme. Ils sont toujours de profil. Les mouvements du mâle se font toniques, amples et profonds. Elle semble en extase, s’agrippe à lui, gémit, souffle, halète. Puis ils se mettent à tourner un peu sur eux-mêmes, en même temps qu’une caméra se déplace. Elle semble s’empaler profondément et y prendre un plaisir immense. Dans mon studio, j’aurais été plus près de l’action. Je suis trop loin, trop à l’écart, mais il est impossible de bouger sans gâcher la scène.

Il se baisse doucement, puis s’allonge sur le dos. Elle reste collée à lui et se retrouve les genoux au sol, à califourchon. La caméra principale est sur le côté et les immortalise dans l’action par le profil. Une autre, au-dessus, guidée sans doute par une télécommande, donnera l’impression de les voir du ciel.

Ce que je vois, moi, est sidérant. Je suffoque. Je tremble de partout. Même si je suis trop éloigné pour percevoir les détails, je vois un sexe tendu disparaître dans les chairs de la comédienne. Ils poussent la simulation bien plus loin que je ne l’aurais imaginé. Il la pénètre vraiment. Elle cherche à être prise le plus profondément possible, et lui pousse autant qu’il peut pour lui faire du bien. Je vois une paire de fesses rebondies bouger au rythme de leurs ébats. Je vois un sexe sortir puis entrer à nouveau, dur et raide. J’entends Mathilde gémir, dire qu’elle aime ça. Puis je n’entends plus rien ; ils s’embrassent sans doute, mais je ne peux que l’imaginer. J’entends à nouveau des soupirs, des gémissements, puis je vois les jambes de Mathilde s’allonger et son corps s’affaisser. Le plaisir ultime semble avoir été atteint. Le plus grand silence règne sur le plateau. Puis j’entends « Coupez ! »

Ce que je viens de voir est d’une telle v******e que j’en oublie de respirer. Et pourtant je dois bien admettre que les images sont sublimes.

Gloria ne m’a pas vu. J’ai fait demi-tour pendant que je voyais s’affairer les techniciens pour organiser la scène suivante. Je ne voulais pas la voir, cette scène suivante, pas la vivre, pas la subir. Je suis retourné à Nice rendre le véhicule de location et j’ai pris le premier vol pour Paris. Je ne suis pas retourné sur le tournage. Je me suis contenté des comptes rendus de plus en plus brefs que me faisait Gloria le soir au téléphone. Elle ne s’est plainte qu’une fois que je ne vienne pas la voir, puis finalement n’a plus insisté.

Nous avons repris notre petite vie pépère à son retour. Elle semblait ne pas avoir changé. Je n’ai posé aucune question. J’attendais qu’elle me parle, qu’elle se confie, mais rien ne venait.

Ce n’est que huit mois plus tard, quand elle a su que le film allait sortir dans les salles, qu’elle a enfin daigné s’ouvrir un peu. C’était nécessaire, en effet. Elle s’était rendue à l’avant-première, et les journalistes qui y avaient été invités ne tarissaient pas d’éloges sur le metteur en scène et sur les comédiens, tout en soulignant le caractère particulièrement réaliste et crû des scènes de sexe. Le ministère de la Culture, lui, s’est immédiatement posé en censeur, en obligeant à une interdiction aux mineurs.

Gloria m’a enfin tout raconté, ou presque. Elle voulait me préparer à la v******e des images qu’elle avait vues. Je saurais, évidemment : il fallait donc qu’elle me le dise avant. Il n’y avait pas dans le montage de gros plans gynécologiques, mais il était évident que les comédiens ne simulaient pas.

— Qu’entends-tu par « ils ne simulent pas » ?
— Je pensais que tu comprendrais. Le metteur en scène nous a poussés dans nos retranchements. Il voulait quelque chose de très réaliste, de très intime.
— Oui, bon, et alors ?
— Alors tant que nous simulions, il a recommencé les prises. Jusqu’à ce qu’on se laisse vraiment aller.
— Ça signifie quoi, « se laisser vraiment aller » ?
— Ça signifie simplement que dans quelques scènes, il n’y avait pas de simulation.
— J’ai compris. Donc tu ne simulais pas le plaisir, tu en prenais vraiment. Et l’acteur aussi. Je comprends bien ?
— C’est ça, oui. Le plaisir était vrai, réel, prégnant, visible. C’est ce que voulait le metteur en scène.
— Je suis persuadé que tu as fait ça très bien.
— Oui. Mais je crois qu’il faut que je sois peut-être plus claire…
— C’est-à-dire ?
— On a vraiment fait l’amour devant les caméras.
— …
— Tu comprends ?
— …
— Dis-moi quelque chose !
— « Vraiment fait l’amour », ça veut dire pénétration, caresses buccales, tout ça ?
— Oui.
— Ça veut dire aussi orgasme ?
— Oui.
— Tu as vraiment joui devant les caméras ?
— Vraiment, oui. Au début, non, puis quand c’est venu une fois, c’est venu plus facilement. À chaque fois que nous tournions une scène de sexe.
— Il y en a eu beaucoup ?
— Dans le film, on en voit quelques-unes. Mais il y en a eu beaucoup, oui.
— Tu es en train de me dire que je suis cocu jusqu’à l’os ?
— Non : je jouais un rôle. Ce n’était pas moi mais mon personnage, Mathilde. Elle devait montrer sa passion, sa liberté, son amour physique, sa générosité au lit et en général, sa capacité à donner du plaisir, son obsession d’en prendre. C’est Mathilde, pas moi.
— Mais c’est ton corps, ta langue, tes seins, ta peau, ton sexe…
— Tu es en colère ?
— Depuis des mois, oui.
— Je ne comprends pas…
— Depuis des mois. Je suis venu sur le tournage. J’ai vu. J’ai compris. Je suis reparti. Je t’ai laissé finir ton film. Après, tu ne m’as rien dit. Tu m’as caché tout ça jusqu’à ce que tu n’aies plus le choix. Je me sens trahi.
— Je me sentais tellement coupable… Je ne savais pas comment t’en parler.
— Comme tu viens de le faire, dès ton retour, ça aurait fonctionné.
— Tu aurais eu la même colère ?
— Non. J’aurais su que je pouvais avoir confiance, même si tes aveux auraient pu venir avant, au téléphone. Mais tu as aimé faire ça ?
— Te cacher tout ça ?
— Non, je parle des scènes d’amour. Tu as aimé faire l’amour avec lui ?
— Mais, chéri, c’était un rôle. J’ai aimé jouer ce rôle. Ça ne se limite pas au sexe. Il y a plein d’autres choses dans ce film.
— Je sais, oui. J’ai lu le scénario. Mais je te pose la question sur le sexe en particulier. Tu as aimé ça ?
— Il fallait que je montre qui j’aimais ça. Donc la comédienne, oui. Elle a aimé ça. Il fallait qu’elle aime ça, qu’elle le montre…
— Mais toi, Gloria ?
— Je fais la différence entre les deux.
— Moi pas.
— …
— Je ne sais plus quoi te dire.
— Et en dehors des tournages, vous vous êtes vus avec l’acteur principal ?
— On a eu pas mal de répétitions, oui.
— Seuls ?
— Le plus souvent non. Il y avait du monde avec nous : les auteurs et le metteur en scène.
— Le plus souvent, OK. Mais parfois, oui ?
— Oui, parfois on ne répétait que tous les deux. Il fallait qu’on montre de l’intimité devant la caméra. Ça se travaille. On a pas mal discuté. On est allés se promener, dîner au restau. On est même allés au cinéma.
— Vous êtes devenus amis ?
— Pas du tout, non. Il est très pro. On ne cherchait qu’à se connaître pour être plus réalistes à l’écran.
— Se connaître… y compris dans l’intimité ?
— Je lui ai dit ce que j’aimais, oui, il fallait bien.
— Nous y voilà.
— Nous y voilà où ?
— Tu lui as expliqué ce que tu aimes ; c’est-à-dire ?
— Pour être crue, comment me mener au plaisir. Voilà.
— Comment te faire jouir, c’est ça ?
— En quelque sorte, oui.
— Mais c’est très intime…
— Oui, mais il fallait en passer par là.
— Tu arrêtes de tourner en rond ?
— Pose-moi une question directe, alors ; c’est toi qui tourne en rond ! me répliqu-t-elle sur un ton un peu agacé.
— Avez-vous fait l’amour sans les caméras, juste tous les deux, dans une chambre ou ailleurs ?
— Oui.
— Souvent ?
— Oui.
— Avez-vous dormi ensemble ?
— Jamais.
— Quand vous faisiez l’amour, tu étais Mathilde ou Gloria ?
— Au début, Mathilde.
— Au début seulement ?
— Au début seulement, oui.
— Et après, tu étais Gloria ? Le changement est venu comment ?
— Quand il m’a fait jouir la première fois.
— Tu m’as dit juste avant que c’était Mathilde qui jouissait devant la caméra, pas toi.
— Je sais, oui. Mais dans l’intimité je n’avais plus besoin de jouer un rôle.
— Je suis donc vraiment cocu.
— On ne peut pas dire ça comme ça. Je me suis juste un peu égarée.
— Tu t’exonères bien vite…
— Tu sais qui est cet acteur. Beaucoup de femmes fantasment sur lui. Je me suis laissé aller, je le reconnais, mais je n’ai aucun sentiment pour lui.
— C’est arrivé vraiment souvent ?
— Arrête, tu te fais du mal tout seul.
— Je veux juste savoir de quelle longueur sont mes cornes.
— Souvent, oui.
— Et c’était mieux dans l’intimité ou devant les caméras ?
— Dans l’intimité, évidemment.
— Vous vous êtes revus ?
— Non.
— Vous allez vous revoir ?
— Sur un tournage peut-être. Sinon, non. Il n’y a aucune raison.

En sortant de la salle où était projetée la première, c’est à mon bras que les photographes l’ont mitraillée. Le public, des avertis, venait d’applaudir debout et de se tourner vers elle. Les critiques exaltées du lendemain ont achevé la consécration d’une nouvelle venue au monde des actrices bancables.

Il ne s’est pas écoulé une semaine, depuis, sans qu’elle reçoive une sollicitation pour un autre tournage. Je ne sais pas si elle refuse parce que les scénarios ne lui plaisent pas, ou en raison d’un centrage sur les rôles de femmes libérées, ou si c’est pour me ménager.

Mais le mal est fait. Je ne sais plus si je vis avec Gloria ou avec Mathilde, si elle prend autant de plaisir avec moi quand elle est l’une ou quand elle est l’autre, si ses pensées s’évadent vers le corps d’un autre quand elle jouit avec moi, ou si tout n’est que simulation, finalement, que nous faisions l’amour ou pas.

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