J’avais mes habitudes dans ce bar. Il m’était un peu un refuge tant le midi que le soir. Il était assez éloigné du bureau. A deux, trois stations de tram. J’y avais peu de chance de croiser un collègue. Ahmed le patron était devenu comme un copain. Il savait à propos doser le café. Je sortais régulièrement sur le trottoir griller une cigarette. Je faisais l’objet d’une drague gentille de la part des autres habituées. Je les rembarrais d’un grand sourire. Non pas que je fus prude mais j’avais pour la chose, les amants nécessaires avec lequel j’échangeais durant la pause des SMS.
Ceux-ci me sautaient avant que je n’aille rejoindre mon mari. On faisait cela dans une voiture. J’ai toujours adoré sucer un type sous le volant. Il y a là quelque chose de magique et d’un peu transgressif où on perçoit autour la présence du passant lequel peut-être s’offusque qu’on fit ce genre de cochonnerie en pleine rue presqu’au su des enfants. Le ferment de scandale ajoutait à mon plaisir. Il ne me déplaisait pas que la digne bourgeoise et chef de pôle du service s’adonnât à ses heures perdues à ce passe-temps vicieux et si immoral dans la rue.
Tant mes voisins que les proches de la famille et collègues de bureau eussent bien été étonnés de découvrir sous la tignasse brune de la salope qui suçait, mon visage d’ange sévère et familier. Ils n’en auraient pas cru leurs yeux. Leur stupéfaction eût été mon triomphe. Plus d’une fois j’aurais rêvé être surprise en de scabreuses positions. Je ne sais si j’aurais trouvé la force et l’à propos de me justifier. J’ai des fois poussé le vice que la voiture fut garée juste en face du porche de mon domicile. Je fis cela un hiver à l’approche des fêtes. Il faisait froid et sombre.
Je me gardais bien d’expliquer à l’amant alors que j’avais rencontré sur le net ce pourquoi nous avions élu cette place au lieu d’une autre. Levant la tête de temps à autre je voyais celle de mon épicier derrière sa caisse qui regardait par là. Il se devait douter d’une chose. Je le savais assez vicieux pour cela. Heureusement j’augurais que la pénombre et la buée sur la vitre l’empêchassent de me reconnaître. Je savourais déjà le moment où le demain je lui ferais un sourire mutin sans qu’il en comprit la signification. Il me lutinait souvent le cul, ce brave cochon.
De même je vis nombre de mes voisins s’enfoncer sous le porche ignorants de ce qui se perpétrait dans la petite Uno. Je suçais et branlais âprement ce soir-là. Mon amant tout échauffé se gardait d’éjaculer afin de me prendre plus tard fut-ce ailleurs. Je l’invitais à la patience. En effet j’attendis jusqu’au moment où parut mon mari et qu’il disparut dessous le porche pour que nous allions baiser dans un coin plus tranquille. Ce fut fait derrière une benne à ordures près du canal. Une heure après je plaisantais avec mon mari des péripéties de ma journée.
Le curieux était que j’adorais ce mari. Il n’est pas d’homme plus doux et bon. J’admets en retour qu’il n’est pas plus perfide et garce que moi. Je ne m’explique pas la perversité qui me poussât à salir mon couple. Je pense que s’il savait, il mourrait sur le champ avec étonnement plus que courroux. Je pense que sa bonté est un tourment voire un scandale pour ceux qui l’approchent. Il est terrible de subir au quotidien une vertu. Tout le monde s’en veut venger. C’est ainsi. Je ne vois pas d’autre explication à ce que son meilleur ami choisit un jour après m’avoir fait boire à me débaucher.
En fait j’ai résisté un moment. On peut user du mot de viol. Il me força. Le résultat cependant fut que peu après je m’abandonnais lui prodiguant moultes caresses. Il libéra en moi quelque chose de funeste et terrible. Plus tard il me dit qu’il avait repéré chez moi ce potentiel de vice et qu’il trouvait dommage et cruel que mon inepte mari me frustrât de m’épanouir dans cela. Bref il était venu pour m’affranchir et que tout fut accompli. Nous devînmes amants. Nous perpétrions souvent notre crime dans la couche conjugale. Son accident de voiture peu après fut comme un juste châtiment.
Quoiqu’il en soit le brasier avait été allumé et qui n’était pas près de s’éteindre. Avant l’accident nous étions allés recruter d’autres complices et damnés sur les sites internet. Muni de mon pseudo flamboyant j’avais des habitués. Ils devinrent pour nombre de mes pratiques et amants. Le sexe me fut tel une drogue. Seul lui m’apaisait. A défaut j’eus recouru à l’alcool. Je goûtais particulièrement ma vie double et clandestine. J’adorais mon rôle et parcours subversif. Dans mon miroir au quotidien je rêvais sous mes traits anodins, au monstre que j’étais. Je pêchais ainsi impunément.
Je ne pensais pas que le petit caillou de sable eût put se rencontrer dans mon bar familier ou du moins pressentais-je que la catastrophe aurait un jour cette origine futile. Je m’étais toujours gardée de fricoter avec les types du bar. Pour eux j’étais la hautaine qui les rembarrait benoîtement. Non pas qu’il me crut sainte, ils avaient assez deviné que nombre de mâles occupaient ma vie. Simplement j’avais élu ceux-ci dans un milieu plus distingué que le leur. Simples ouvriers et manoeuvres ils n’avaient pas l’heur de me plaire. Je me concevais ici inexpugnable.
Tout est venu par le biais du romanesque. Je n’ai jamais pu me départir des chimères de ma jeunesse. J’avais en évidence dans ma chambre la belle gueule du Che indéfectible rebelle et pourfendeur d’injustices. Aussi quand Ahmed m’évoqua le type viril nouveau venu en coin du bar comme ancien de la légion qui avait combattu avec les serbes, mon sang ne fit qu’un tour et mon désir s’alluma. Il s’appelait Goran. Son regard dur et gris vous traversait de part en part. Il était souvent flanqué de jeunes filles manifestement énamourées de lui.
Il ne me calculait pas. Son goût était à la chair fraîche. Il me renvoyait du coup à mon âge et au néant. J’en fus assurément mortifiée. J’avais perdu l’habitude d’être dédaignée du moins dans ce café. Aussi jeu du désir et du sentiment ce rejet n’exacerba que plus mon intérêt pour cet homme. Ahmed prévenant ma folie m’assura de faire attention car le gars était dangereux. Ce conseil vain ne gagna qu’à valoriser le fruit défendu. Ainsi fis-je le premier pas l’interpellant un jour que j’avais lu un ouvrage sur les milices pro-serbes. Il marqua un temps de surprise.
J’avais ferré mon poisson. J’encourais le risque qu’il m’envoya balader. Invétéré misogyne il eût pu mal prendre qu’une pouffiasse s’intéressa aux choses de guerre. Il voulut m’éprouver. Or je connaissais fort mon dossier. En trois jours j’avais avalé deux gros bouquins. Il me posa maintes questions. Il eût droit à des noms de théâtres d’opérations et de noms de militaires, politiques et autres comparses. Il fut ébloui. Il m’assura en avoir fréquenté certains. Il m’offrit à boire pour me parler de ses exploits. Ce con était fier. Il avait tué et torturé.
Il buvait sec. Je renonçais à le suivre là-dessus. Au bout du énième verre il fut pris de rêvasserie et de nostalgie. Il me voyait autrement. Son regard sur mes cuisses m’indiquait qu’il m’observait comme objet de désir ou relent des filles qu’il appelait invariablement « putes ». Nous en vînmes par la suite à ranimer ses souvenirs. Cela lui faisait du bien comme il disait. Avec perfidie je lui fis accroire qu’il avait été le protagoniste d’une grande heure de l’histoire. Ainsi lui parus-je sympathique et presque copain. Peut-être est-ce pour cela qu’il voulut me faire plaisir.
Il ne se faisait nulle illusion sur mon genre de femme. Sans ambages il me balança : « T’es une vicieuse. On voit trop que t’aimes la bite. » Tout autre eût été traitée sur le champ par le mot : goujat. Or lui m’impressionnait. Ce mâle me rendait femelle. J’aspirais qu’il me sautât. Il me dit sardoniquement qu’il en avait un peu marre de ses pucelles et qu’il goûterait volontiers à une salope comme moi. Nous eûmes rendez-vous un midi dans un studio peu loin du café. Je fis tous mes efforts pour bien sucer. Je n’étais pas peu fière de ce talent. Il m’en félicita.
Pour le reste je pus vérifier ce qu’a de brutal et de renversant un homme viril. Le sadisme avait part dans ses gestes. Avec lui le terme baiser n’était pas un vain mot. Il enculait avec une rare v******e. Depuis longtemps je n’avais éprouvé pareille jouissance. Je succombais au sens propre et figuré. Il tint cependant à dire que j’avais bien soutenu ses assauts et qu’il avait savouré notre union au pieu et qu’il voulait volontiers recommencer. Nous fûmes en sorte des amants. Cela dura un an. J’étais mordu comme une file peut l’être de son mac. Ahmed en était un peu marri.
Je ne vis pas venir la catastrophe. Mon Goran vivait de petits trafics. Il fut mal avisé de toucher aux affaires de la drogue. Bref un matin Ahmed m’annonça qu’il y a une heure les flics l’avait embarqué. Tout s’écroulait. Je fus tentée d’aller courir à son secours. Ahmed prévint mon geste. Il me dit de n’en rien faire. Les flics passaient tous ceux du bar en interrogatoire. J’en fus bientôt. On m’avait en sorte balancé. J’étais sa supposée amie et peut-être complice. Je risquais la garde à vue. L’inspecteur qui m’interrogeait fut convaincu enfin que j’étais une dupe ne sachant rien.
Je ne pouvais me résoudre qu’on voulut enfermer derrière les barreaux mon amant. J’hasardais auprès de l’inspecteur que Goran avait été un héros là-bas en Yougoslavie. Celui-ci me répondit avec mépris : « Moi j’appelle cela un bourreau. » Ainsi penaude revins-je le lendemain au bar tout raconter. Tout le monde était d’accord que c’était cuit pour Goran. Les charges étaient accablantes. Il avait été léger et s’était embarqué dans une sale affaire. Ahmed me conseilla de l’oublier. Je fus triste et traversa pour une fois cette fameuse dépression. Je perdis goût à tout.
Mon docile mari avala la thèse d’un surmenage au bureau. Il me fallut un mois pour remonter. Nul ne voulut me dire où mon Goran avait été incarcéré. C’était mieux ainsi. Je n’avais depuis tout ce temps renoué avec mes contacts sur le Net. Je revins peu après à mon bar. Je ne sais comment. Tonio un ami là-bas parvint à me sauter dans sa voiture. Toujours en confusion peut-être songeais-je que ce petit coup m’aiderait. D’autres suivirent dont Ahmed. Je devins en sorte leur pute. Je n’eus pas conscience d’une descente aux enfers. J’y mis un terme enfin et n’y revint plus.
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