Ce soir-là, en rentrant du boulot, j’ai trouvé Mathilde assise dans le canapé du salon, un verre de Porto à la main, le regard accusateur. Je n’ai pas eu le temps de m’approcher d’elle pour l’embrasser, elle a désigné quelque chose sur la table basse et m’a dit :
« Qu’est-ce que c’est ? »
C’était une pochette noire ornée d’un logo Kodak.
Des photos.
Je me suis avancé et j’ai lu ce qui était inscrit sur l’étiquette collée au dos de la pochette : Agathe / juillet 2009.
J’ai relevé les yeux en disant :
« Tu l’as trouvée où ? »
Mathilde a pris une gorgée de Porto avant de répondre calmement :
« Elle était coincée au fond d’un tiroir de ton bureau. »
« Depuis quand tu fouilles dans mon bureau ? »
« Je ne fouillais pas, j’avais besoin d’une enveloppe et je savais qu’il y en avait dans ce tiroir. Qui est Agathe ? »
J’ai soupiré :
« Une vieille histoire… »
« Une exe ? »
« C’est plus compliqué que ça, ai-je répondu en reposant la pochette sur la table pour aller me servir un verre de whisky. »
Dans mon dos, Mathilde a continué son interrogatoire :
« Tu vois de quelles photos il s’agit ? »
J’ai répondu :
« Non, ça remonte à des années et j’ai photographié Agathe un paquet de fois. »
« Toute nue à chaque fois ? »
« Oui, ai-je dit en revenant vers Mathilde avec mon verre. »
On n’a pas trinqué ce soir-là. J’ai pris une gorgée de whisky en soutenant son regard et en me demandant comment cette fichue pochette était parvenue à se glisser au fond de ce tiroir. Je m’étais débarrassé de toutes les photos d’Agathe, bien avant de rencontrer Mathilde.
Elle a vidé son verre d’un trait, puis elle m’a dit :
« Elle est tout à fait charmante. Mais de qui s’agit-il, si ce n’est pas une exe ? Vous avez l’air très intimes, à en croire certaines photos. »
J’ai baissé les yeux vers la pochette. J’ignorais de quelle série il pouvait s’agir. C’était loin, tout ça.
J’ai relevé les yeux vers Mathilde :
« C’était la nana d’un pote. »
« Oh ! a-t-elle fait. Et le pote en question savait ce que tu faisais avec sa nana ? »
J’ai pris une gorgée de whisky avant de répondre :
« Non. »
Mathilde prit une gorgée à son tour, puis baissa les yeux vers la pochette en disant :
« C’était une jolie salope… »
Je n’ai pas répondu. J’ai allumé une cigarette et me suis mis à tourner en rond dans le salon. Mille images me revenaient en mémoire. Je n’avais rien oublié de cette histoire, mais j’y repensais rarement cependant.
Mathilde a jouté :
« Et toi, un beau salaud. »
Je me suis tourné vers elle :
« C’est du passé, tout va bien. »
Elle a souri de nouveau :
« Oh mais je n’ai pas dit que tout allait mal. J’ai été surprise de tomber sur ces photos, c’est tout. J’ai bien noté la date inscrite sur l’étiquette. Ce n’est pas comme si tu les avais faites la semaine dernière. Je me suis seulement demandée si tu les avais volontairement conservées, ou pas. »
« Non, ai-je répondu. C’est un oubli accidentel. »
Puis un temps de silence s’écoula.
J’avais beau me creuser les méninges, je ne me souvenais pas de quelle série de photos il s’agissait. J’avais photographié Agathe à poil des dizaines de fois, dans des dizaines d’endroits différents.
Un long silence, puis Mathilde a dit :
« Elle a un très beau corps. »
Je l’ai regardée sans rien trouver à répondre. J’avais parfaitement en tête le corps d’Agathe. En détail.
Mathilde a ajouté :
« Tu penses à elle parfois ? »
J’ai vidé mon verre cul-sec et répondu :
« Et toi, tu ne repenses jamais à ton passé ? »
« Ne t’agace pas, a-t-elle dit. Je ne te fais aucun reproche, je te pose juste une question. C’est une belle fille et les photos sont très réussies. Tu ne veux pas les regarder pour me dire dans quel endroit c’était ? »
Je me suis resservi un verre sans répondre, puis je suis revenu vers la table basse et à Mathilde qui suivait tous mes gestes.
J’ai répondu :
« A quoi ça va t’avancer de le savoir ? »
Elle a vidé son verre à son tour et s’en est resservi un, puis elle m’a fixé du regard pendant quelques secondes avant de répondre :
« Viens t’asseoir à côté de moi, au lieu de tourner en rond. J’ai envie qu’on regarde ces photos tous les deux. Tu veux bien ? »
Mathilde et moi étions ensemble depuis trois ans. Notre vie sexuelle me semblait normale, même si j’ignorais en fin de compte ce que signifiait ce mot : « Normal ». Disons que nous baisions régulièrement. Deux fois par semaine, en général. Le mardi soir et le vendredi soir. Parfois le samedi, si nous avions la forme. Était-ce normal ?
Je me suis assis près d’elle, à sa droite.
Je me suis resservi un verre de whisky et me suis décidé à ouvrir cette fichue pochette-photo qui remontait à dix ans.
Le premier cliché me fit l’effet d’une décharge électrique dans le bas du ventre. On y voyait Agathe debout, de dos, le visage de profil, vêtue d’un t-shirt noir, ses cheveux bruns détachés ; elle avait baissé son pantalon et sa culotte au niveau de ses chevilles et elle montrait son cul à l’objectif. Un superbe cul, tout blanc, les fesses bien fermes.
« Alors ? dit Mathilde. C’était dans quel endroit ? »
J’ai soupiré :
« Dans le grenier d’une maison abandonnée. La lumière tamisée venait d’un velux envahi de toiles d’araignées. »
Elle souriait.
« C’est vraiment une belle lumière, dit-elle. »
Puis elle passa à la photo suivante.
Agathe avait ôté son pantalon et sa culotte, mais conservé son t-shirt. C’était une pose très simple : elle était debout au milieu de ce grenier, le cul à l’air. Et je me suis mis à bander.
« Elle a vraiment de belles fesses, dit Mathilde. »
Je n’ai pas répondu.
Sur la troisième photo, Agathe tournait toujours le dos à l’objectif et elle ôtait son t-shirt. Elle ne portait pas de soutif dessous et elle était pieds nus sur le plancher de ce grenier.
Je me souvenais parfaitement de cette journée-là. Il faisait chaud et nous parlions tout en faisant les photos. Son mec, Loïc, était un de mes meilleurs potes de l’époque. Il m’avait présenté Agathe à l’occasion de l’inauguration d’une expo de photos dans une galerie. Et dès le premier regard échangé, j’avais compris qu’il y aurait quelque chose entre elle et moi, tôt ou tard. Il y a des regards qui ne trompent pas. Il faut arrêter de se raconter des histoires : les regards ne mentent jamais.
Sur la photo suivante, Agathe était à poil, debout et toujours de dos. La lumière tombait sur ses épaules et ses cheveux longs. Elle avait les bras le long du corps et je me souvenais décidément très bien de ce jour-là.
Et soudain, Mathilde m’a dit :
« Ça te fait bander de la revoir ? »
Je l’ai regardée un bref instant et j’ai attrapé mon verre pour le finir cul-sec. Je m’en suis resservi un en répondant :
« Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que ça me laisse indifférent ? »
Elle a fait un grand sourire en disant :
« Mais arrête de croire que je te juge. Je suis contente que tu aies accepté qu’on regarde ces photos tous les deux. Cette fille est très jolie et elle a cul superbe. Mais la partie de son corps que je préfère, c’est sa chatte. »
On s’est regardé dans les yeux pendant un petit moment, sans rien se dire. Sans faire un geste.
Puis Mathilde a ajouté :
« Sur la photo suivante, quand elle se tourne vers toi, on la voit. Est-ce que ça t’embête si je me mets à poil pour regarder la suite ? »
« Tu es sérieuse ? »
Elle n’a pas répondu. Elle s’est mise à déboutonner son chemisier en me regardant, puis elle l’a enlevé et balancé de l’autre côté de la table basse. Elle s’est ensuite mise debout pour défaire son pantalon et le baisser en même temps que sa culotte. Pour finir, elle a dégrafé son soutien-gorge, puis s’est rassise à mes côtés en disant :
« Passe à la photo suivante. »
Je lui ai répondu :
« Tu m’épates. »
Elle a dit :
« Tant mieux, mais passe à la photo suivante, s’il te plait. »
Photo numéro 6 : Agathe s’était tournée vers moi. Sa chatte était poilue, aussi noire que ses cheveux longs et raides. Ses seins en forme de poire, ornés de larges auréoles, tombaient un peu.
Je bandais à mort et Mathilde s’est approchée de moi en disant :
« Tu l’as revue depuis ? »
« Non, juste recroisée deux ou trois fois. »
Elle se touchait un sein en parlant :
« Tu te branles en pensant à elle, de temps en temps ? »
Je ne l’ai pas regardée pour répondre, j’avais les yeux fixés à la photo que je tenais entre mes doigts :
« Je ne l’ai pas fait depuis un petit moment. »
« Mais tu l’as fait néanmoins. »
« Oui. »
« C’est naturel, a-t-elle dit en portant une main à son entre-cuisse. Elle a vraiment un beau corps. Tu ne veux pas te déshabiller et te branler comme moi pour regarder la suite ? »
Il y a des jours comme ça, dans la vie. Des jours inouïs et rares, logés au milieu des autres qui sont banals. S’ils n’étaient pas rares, ils nous lasseraient sans doute. La rareté deviendrait commune et provoquerait l’ennui. C’est la rareté qui met du piment dans la vie.
A la douzième photo, Mathilde m’a enjambé en me tournant le dos afin de s’empaler sur ma queue qui était raide et qui a glissé toute seule dans sa chatte trempée. Elle s’est mise à remuer sur mes cuisses, jambes bien écartées, puis elle a dit :
« J’aime la photo où on voit ta bite dans sa bouche. »
Moi aussi j’aimais cette photo.
Et les suivantes où l’on voyait ma bite en train de pénétrer la chatte poilue d’Agathe, tandis qu’elle se branlait le clitoris en regardant l’objectif.
Mathilde m’a dit à un moment donné :
« Il y a des jours où je me demande ce que ça fait d’avoir une bite et de pénétrer une chatte… »
Puis elle a joui en voyant apparaître la quinzième ou seizième photo.
Ensuite, elle s’est retirée et a quitté la pièce pour aller aux toilettes.
Pendant ce temps, je me suis masturbé en regardant la photo suivante. Je crevais d’envie de revenir dans le passé, juste en claquant des doigts. Pour me retrouver dans ce vieux grenier, avec Agathe en face de moi, à poil.
Mais nous n’avons pas ce pouvoir-là. Le passé s’éloigne un peu plus à chaque seconde qui s’écoule, et nos souvenirs s’abîment, s’esquintent en nous faisant du mal. Nous n’y pouvons rien. C’est ainsi.
Ce qu’il nous reste, c’est le présent.
Et le futur, évidemment.
Les photos ont cet étrange et cruel pouvoir qui consiste à nous renvoyer en pleine figure des moments du passé. Sur un simple bout de papier, le passé semble si proche, si intact, presque palpable.
Mais intouchable.
Un peu plus tard dans la soirée, Mathilde a reposé son énième verre de Porto sur la table en me disant :
« Serais-tu d’accord pour me baiser dans la chambre, dans l’obscurité, en imaginant que je suis Agathe ? »
Je commençais à être sévèrement ivre, comme elle.
J’ai accepté.
Le lendemain matin, au moment du petit déjeuner, nous avons échangé peu de paroles. Nous nous étions endormis l’un contre l’autre après avoir baisé dans le noir. J’avais éjaculé sur son ventre, sans dire un mot, puis je m’étais effondré près d’elle, dans ses bras.
C’était un samedi.
Nous sommes allés marcher en centre-ville. Nous avons acheté quelques bricoles dans des magasins et pris un café dans un bar, en suivant des yeux les passants de l’autre côté de la vitre. Je repensais par moments à ce que nous avions fait ensemble la veille, et je savais que Mathilde y repensait aussi.
Il pleuvait un peu ce jour-là, ce qui n’empêchait pas la foule d’abonder dans les rues.
Après le café, nous avons commandé un demi chacun.
Puis, sans décrocher son regard de la vitre du bar, Mathilde m’a dit :
« Si jamais Agathe venait à passer derrière cette vitre dans les minutes qui viennent, lève-toi et va lui demander si elle est d’accord pour faire l’amour avec nous ce soir. Je n’arrête pas de penser à elle. Et si jamais elle ne passe pas, j’aimerais de nouveau que tu me baises dans l’obscurité en faisant comme si j’étais elle. Tu veux bien ? »
Je lui ai répondu oui.
Mais Agathe n’est pas passée derrière cette vitre au cours de l’heure qui a suivi. Alors nous sommes rentrés chez nous et on a bu quelques verres avant d’aller dans notre chambre pour nous déshabiller.
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