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Sourire

Sourire



On ne se méfie jamais assez de l’alcool. L’âge venant j’avais une
propension à recourir à cet expédient grossier. J’y voyais l’indice de
ma décadence. Je descendais imperceptiblement le cours du fleuve jusqu’à
mon engloutissement final. On se débarrasserait de moi. On ne me
regretterait pas. L’alcool avait la propriété de me rendre triste et
amer. J’avais le vin mauvais. Patrick mon grand pote et collègue me
tançait ce jour-là. Celui-ci aîné de dix ans me reprochait de n’avoir
pas à quarante ans, su convoler. Ma solitude serait fatale. Ainsi
finissent les égoïstes.

Cet imbécile avait raison. Je devais rabattre de mon orgueil et de mes
prétentions. Je n’étais pas plus sot qu’un autre et pouvait rendre
heureuse une femme. J’avais laissé passé maintes occasions. Je songeais
en effet à me ranger et me résoudre à une honnête reddition. Notamment
un jeune minois de trente ans au bureau m’avait ranimé ces derniers
temps. J’avais découvert avec étonnement que mon vieux cœur
fonctionnait. Patrick avec d’autres avait deviné mon émoi et voulait m’y
encourager. Sa femme à ses côtés affichait son sourire impavide.

Je l’avais toujours trouvé vulgaire. Son air de bourgeoise n’en
trahissait pas moins son autre aspect de garce. Il était par trop
évident que mon ami était malheureux avec une telle créature. Il était
notoire qu’elle le faisait cocu. Je n’eus pas supporté tant d’avanies.
Ces circonstances grevaient un peu les conseils du mariage. J’y voyais
comme un effet comique. Je devinais qu’elle-même devait se marrer
intérieurement. Généralement elle était absente quand je venais. Elle
était partie au bridge soi disant. J’interprétais cela quelle avait sur
le dos un de ses amants.

Peut-être ce jour-là un d’eux fit défection et par dépit elle se trouva
là entre nous. Elle était manifestement irritée car elle tirait
nerveusement sur sa cigarette et contredisait à bout de champ son mari.
J’étais mal à l’aise. Comment acceptait-il d’être ainsi humilié ? Le
plus grotesque était qu’elle tenait incidemment à m’allumer. Je l’avais
déjà vu faire en compagnie d’hommes. C’était plus fort qu’elle. Elle
devait nécessairement séduire et exciter. Bref elle jeta machinalement
son dévolu sur moi. Son mâle comme souvent affectait de ne rien voir.

Elle ne me cacha rien. Tant sa culotte bleue transparente que sa chair
blanche à la naissance des bas. Je vis tout. Elle croisait et décroisait
selon ses cuisses. Elle était à côté du mari et juste en face de moi.
L’alcool aidant j’en vins au bout d’une heure à bander. Je maudissais la
salope. Je songeais aux collègues s’étant vantés de l’avoir attrapé. Il
était vraisemblable qu’ils ne se vantaient pas. Elle m’avait toujours
ignoré. Elle avait du percevoir mon côté intello et que je ne l’aimais
pas. Aussi trouvais-je étrange qu’elle me fit ce jour-là son cinéma.

Je fus d’autant outrée qu’avec sa voix vulgaire, elle sembla entrer dans
les raisons du mari. Oui je devais être gentille avec la petite
nouvelle. Elle avait l’air saine et loyale et point inquisitrice.
Respectueuse du rôle d’un homme et de nos traditions. Pour un vieux
garçon comme moi ce serait l’idéal. Tout au plus devrais-je lui concéder
au début l’érection d’un ou deux marmots. Je vis bien qu’elle n’en
pensait point une goutte. Plus qu’un autre elle détestait les femmes.
Toutes lui étaient rivales et susceptible de lui voler un homme.

Il ne pouvait y avoir d’autre explication. Elle me voyait déjà convoler
en juste noce avec cette autre, une oie blanche. Elle voulait pouvoir
dire sur les marches de la mairie : cette conne ne sait pas que j’ai
débauché il y a peu son mari. Elle voulait à la source souillé mon
mariage. Je n’ai jamais rencontré comparable sorcière. Plus tard et
après ce présent épisode, son mari, mon ami s’ouvrit davantage sur la
personne de sa femme. Tout était vrai. Elle couchait avec tous. Depuis
longtemps il lui avait donné son assentiment. J’en voulus savoir plus et
la cause.

Peu après le mariage il apparut à cet homme qu’il ne pourrait satisfaire
autant qu’elle le voudrait une femme qu’il avait autant convoité. Elle
l’avait choisi pour son argent et son statut ce dont il se doutait. Il
eût voulu ajouter à cela les titres du mâle et seigneur au lit mais que
nenni il ne faisait pas le poids. Il alla vite de déroute en déroute. Il
sut ses premières infidélités. Il y eût une explication orageuse. Il ne
consentit point au divorce et d’être séparé des enfants. Elle obtint
alors qu’il ferma les yeux sur ses aventures. Pire il se découvrit jouir
de cela.

En effet n’était-il pas rare qu’elle fit venir des fois un amant dans la
chambre d’amis. Il avait ménagé une ouverture suffisante dans le mur où
il pouvait tout voir. Il ne sut comment la coquine le sut. En tout cas
un jour elle lui jeta à la figure qu’elle ne refusait pas qu’il se
rinçât l’œil de ses ébats. Outre que cela confirmait son néant, elle y
trouvait une sorte d’hommage flatteur à sa lubricité. Bientôt comme par
jeu elle lui dit de lui choisir au hasard un amant et qu’il pourrait
alors se repaître du spectacle. Croyant l’humilier il lui choisit ainsi
n’importe qui.

Ainsi un jour ce fut un petit vieux croisé aux ASSEDIC qu’il fit boire
et emmena à la maison. Il présenta sa femme comme sa belle sœur. Il fit
croire au vieux qu’elle était trop en manque et qu’il pouvait lui rendre
un service. Madame ne fut point choquée de ce conte et même le trouva
bon. Elle vida pour le coup les couilles de ce vieux. Il lui parut ce
jour-là que sa femme était pire qu’une putain. S’ensuivirent un
plombier, un nègre, un arabe et même un huissier. Il importait peu à
cette garce de savoir qui était au bout de la bite. Elle entrait comme
en transe célébrant tout le rite.

Cela dura vingt ans. Depuis elle s’était avachie. Chairs affaissées et
maquillage outré elle faisait maintenant pute. A cet égard il l’avait un
soir emmené dans le bois de Vincennes où au vrai elle se prostitua
durant deux heures. Il en conçut une parfaite émotion. De voir sa femme
jambes en l’air au fond d’une voiture lui fit venir des larmes aux yeux.
Il découvrit avec rage et honte qu’il l’aimait. Qu’elle le fit souffrir
de la sorte les rapprochait. Il était sûre qu’il en mourait. Il avait
fait entrer un bourreau dans sa vie. Il lui importait surtout que les
enfants ignorassent tout de cette vérité.

Ce soir-là c’est lui qui incidemment me souffla que sa femme était de
mauvaise humeur et que je pourrais peut-être le sauver de sa colère et
de sa cruauté. Au début je ne compris rien à son galimatias mais je vis
le copain terrorisé par cette femme. Je crus qu’il voulait que je lui
parle et la raisonne. Fort de mes principes et de ma rhétorique je fus
sûre de convaincre la pécore. Outre ma naïveté, l’alcool avait éteint
les dernières lueurs de mon esprit. Je n’en acceptais pas moins que le
copain s’éloigna et nous laissa tous deux dans le salon. Elle avait un
sourire de tigre.

Elle me laissa m’enferrer dans mes premières phrases. Je mis du temps à
percevoir mon enlisement. Son visage était barré du même sourire
impassible. Ses yeux néanmoins montraient la cruauté du fauve qui se va
jeter sur sa proie et la déchiqueter. Elle dit soudain : « Sais-tu que
l’autre con ne va pas revenir. Ils nous a laissé tous deux à dessein.
J’ai envie d’une queue ce soir. Mon amant m’a fait faux bond. Je veux
être satisfaite. » Un tonnerre éclatant sur nos têtes n’eut pas fait plus
de bruit. Je réalisais trop tard le rôle qu’on m’avait destiné. J’eus le
ridicule de regarder vers la porte.

Elle se leva et en un instant fit glisser sa robe. Elle enjamba celle-ci
jonchant le sol. Elle était en bas porte jarretelle et soutien gorge.
Elle se tourna plusieurs fois mimant un défilé de mode. Elle avait un
gros cul. Elle était plantureuse. Ses formes débordant de toutes parts.
Rubens l’eût aimé en modèle à part qu’elle fut brune plutôt que blonde
ou rousse. Des collègues m’avaient dit adoré ce genre de viande lubrique
prometteuse de tant de voluptés. J’étais ébahi. Tel un serpent elle se
contorsionna un instant. Ses yeux déjà et peu à peu m’hypnotisèrent.
Elle était à mes pieds et ouvrit ma braguette.

Je dus rendre les armes. Sa bouche suave suçait divinement me versant
une paix indicible et que je n’aurais jamais cru possible. Il ne
m’effleura pas que son mari caché dans un recoin nous observait. Cent
fois ils avaient répété cette pièce. J’en devenais acteur pour une fois.
Métamorphosé, je crus devoir m’élever au sublime de la situation. Moi
souvent emprunté, je lui rendis ses baisers et bientôt la renversait sur
le canapé. Ce fut une orgie. Je n’ai jamais foutu de la sorte une femme.
Cette garce m’inspirait. Elle riait. Avec haine à la fin j’enculais. Ses
fesses engloutirent mon sexe.

Je perdis connaissance tandis que sa bouche à nouveau tentait à ranimer
le membre las. Cette garce en voulait encore. Ce fut l’ami qui m’arracha
du sommeil, me disant que je pourrais dormir sur le canapé. Nous irions
demain ensemble au bureau. Toute honte bue je ne voulus aborder le sujet
de sa femme. Je m’accrochais au puéril conte qu’il n’avait rien vu. Ce
n’est qu’un an après que nous évoquâmes ce soir-là. Entre temps il vint
avec sa femme au mariage. J’étais ce jour-là le plus heureux des hommes
hormis que le sourire de cette femme là-bas me blessait.

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