Le drame
Hier était une journée noire avec un éclair éblouissant, je venais de perdre ma femme en couche à la suite de circonstances défavorables successives, mais un petit bout de choux était arrivé.
Plus en détail, il y a une dizaine de jours, on se présente à la maternité, le travail est déjà pas mal avancé. Là un médecin, dont probablement la mère avait dû fricoter avec un ours, nous fait le coup de l’examen et de la piqûre pour soulager les douleurs. Les contractions se calment et nous pouvons retourner à la maison.
Manque de bol, j’étais en période militaire et ma perm. finissait ce soir, je dois rentrer au campement. Je laisse ma douce avec son gros ventre à la limite de l’accouchement avec une copine pour l’aider
Le lendemain, je suis convoqué par le capitaine qui m’annonce radieux que je viens d’être père et qu’il me donne les congés nécessaires, comme c’était un cours de répétition qui se terminait dans la semaine, il m’a donné comme consigne de déposer mon barda et m’a signé ma sortie. Il faut dire que c’était le premier commandant de compagnie avec qui je m’entendais à merveille.
En rentrant à la maison, je saute à la maternité où j’ai le plaisir de voir mon épouse et mon bout de choux, tout nouveau. Je remarque que mon bébé a des marques bleues sur le haut des épaules.
— Que s’est-il passé ?
— On a bien failli avoir un bébé mort, le médecin aujourd’hui a traité son collègue d’inconscient d’avoir de telle pratique pour éviter de déranger un collègue un soir de pleine lune.
C’est là où j’ai appris que l’on avait administré une piqûre pour désamorcer le travail.
Deux jours plus tard, en rentrant je vois ma femme pâle, j’appelle l’ambulance et en toute hâte elle est amenée aux urgences où ils ne peuvent que constater le décès à cause d’une septicémie foudroyante d’origine vaginale.
Je me sens complètement abattu quand tout d’un coup je réalise que j’ai un bébé à la maison et que je ne peux pas me laisser aller. Je demande du secours et là je tombe sur une sage femme qui avait également un rôle de puéricultrice, elle avait du lait humain en réserve et elle m’accompagne avec tout un petit matériel, elle m’assiste du mieux qu’elle peut, mais elle ne peut rester longtemps, cependant, elle m’annonce qu’en même temps que mon épouse, il y avait une fille-mère afghane qui a accouché en même temps et elle avait beaucoup de lait. Elle allait voir si elle ne pouvait pas m’aider et également cette jeune fille par la même occasion.
Nécessité fait loi, les lois de Dieu sont vraiment souvent impénétrables1, de mettre une jeune fille étrangère dont le pays d’origine ne badine pas avec les femmes, dans le rôle de nourrice.
— Oui, cela me conviendrait bien, j’ai beaucoup de place dans cet appartement et je pourrais parfaitement la loger avec son nourrisson pendant qu’elle s’occupera de ma puce.
— Je ne lui ai pas encore parlé, mais d’après ce que je sais d’elle, elle a perdu son fiancé dans un camp de réfugié, des autres Afghans l’ont poignardé à mort et c’est toute une histoire qui a été un peu étouffée dans les journaux, mais les principaux instigateurs sont sous les verrous. C’est une situation également bonne pour elle, elle disparaît de la communauté afghane, donc en sécurité.
La nourrice.
Le lendemain matin, je vois à nouveau la puéricultrice qui s’annonce avec une jeune fille et un bébé en bas de l’immeuble, j’ouvre la porte et les invite de monter à mon appartement.
« ouah ! Elle est super, une très belle fille élancée, le visage franc et des yeux à se perdre dedans, on ne dirait pas qu’elle relève de couche et surtout il semble qu’elle a de quoi a nourrir une tribu. »
Madame fait les présentations et réexplique la situation.
— Voilà mademoiselle Aïcha Alkabir, elle a le statut de réfugiée politique, elle vient de perdre son ami avec qui elle devait se marier une fois la situation calmée.
— Enchanté, moi, c’est Pierre Kiroule, Je ne sais si on vous l’a dit, mais je viens de perdre mon épouse Namas Pamous2, Marie pour les intimes, après son accouchement et je me retrouve avec mon bout de choux sans sa mère.
— Moi je me retrouve sans mon futur mari, en terre étrangère me répond-elle dans un français plus qu’hésitant, et en plus avec mon enfant.
Là, la puéricultrice lui conseille d’accepter ce poste, mais surtout vu que dans les rangs des Afghans, il y en a qui sont très peu recommandables et qu’elle est fragile, d’éviter de sortir et de se faire remarquer.
— Pour moi, cela me convient, je ferais les achats et si elle peut, en attendant que la situation s’améliore, elle pourra tenir mon ménage et s’occuper des deux enfants.
— Vous êtes mon sauveur, me dit-elle avec les yeux bordés de reconnaissance.
— En attendant qu’ils aient un peu grandi, on peut les mettre dans le même lit. Demain, je ferai le nécessaire pour un deuxième lit.
C’est à ce moment-là qu’Ali se manifeste réclamant son lait, je lui indique la chambre pour qu’elle puisse le nourrir et là, la puéricultrice, fouillant dans les affaires de mon épouse décédée trouve des linges et tout ce qu’il faut pour le changer. Je les laisse s’installer pour qu’il puisse avoir son dû.
Mais par mimétisme, Aurore, ma fille se réveille bruyamment avec un petit creux, réclamant aussi d’avoir son repas.
La prenant dans mes bras, je me permets de frapper à la porte pour leur donner le deuxième bébé, la puéricultrice me prend l’enfant des bras et en se tournant, sans s’en rendre compte, elle me permet de voir l’allaitement d’Ali.
Je suis saisi d’une émotion en pensant que cela aurait dû être ma Marie qui aurait dû être là. Les larmes giclent de mes yeux et je m’en retourne bouleversé dans le living.
Une fois les deux enfants nourris, changés et recouchés, la puéricultrice m’aide à installer Aïcha , puis s’en va en disant qu’elle reviendra demain.
Je me retrouve seul avec cette très belle femme et je commence à lui expliquer comment je vois la situation.
— Tout d’abord, j’entends que vous ne parler que difficilement le français, dès que vous ne comprenez pas dites-moi.
— Oui, je prenais des cours avant d’accoucher, mais pas longtemps, j’ai mes cahiers ici.
— Je vous aiderai dans la mesure du possible, mais voilà comment je vois la chose. Tant que vous êtes chez moi, comme l’a dit la puéricultrice, évitez de sortir pour des raisons évidentes de sécurité. Il n’y a pas que les Afghans qui puissent être méchants avec une femme seule et le port d’un voile qui cache le visage n’est pas très bien supporté ici. On a aussi nos talibans et ayatollahs, presque aussi intolérants, si vous devez sortir, vous me le faites savoir et je vous accompagnerai. Cela me fait penser qu’il faudra que je change la poussette pour en acheter une avec deux place…
Comme tout travail mérite son salaire, je vous paierai 2000 fr. net par mois et je prends à ma charge le reste.
Encore une chose, demain je vais vous acheter un téléphone portable pour pouvoir m’atteindre à tout moment, d’une part pour me dire ce qu’il faut pour achat et en cas de problème. Je préfère vous en fournir un et vous éviter de vous servir du vôtre, il est possible de savoir où se trouve une personne avec son téléphone portable.
Cela vous convient-il ?, je ne sais si cela est conforme, pour le téléphone, c’est bien, je vais sortir la carte de manière à ce qu’on ne sache pas que ce téléphone est ici.
— Mais c’est trop. Je n’ai pas besoin d’autant.
— Les habits, les souliers etc cela n’est pas gratuit. Enfin on verra si c’est ok avec la puéricultrice.
Le lendemain, la puéricultrice s’amène avec une autre dame, assistante sociale.
Là, celle-ci commence à inspecter si l’appartement convient, elle fait une remarque que la porte de la chambre de la nourrice doit avoir une serrure et une clé et qu’il devrait y avoir deux toilettes. Heureusement que la puéricultrice s’en mêle, sinon je crois que j’aurai pété un plomb.
— Écoute Lucette3, ne fout pas tout en l’air avec des règlements à la con. Elle a besoin d’un toit, de protection et elle a un enfant sur les bras, pratiquement sans moyen et lui se retrouve avec un enfant en très bas âge sans maman avec un grand appartement et tout ce qu’il faut à part ces détails qui ne sont pas indispensables. C’est une situation où tout le monde y gagne et tu voudrais que tout le monde y perde ?
— Tu as raison, surtout qu’avec son métier d’ingénieur, je connais cela, cela demande de la présence et c’est un homme très honorable.
Là, elle s’avance vraiment, car elle ne me connaît pas du tout, mais c’est vrai que je jouis d’une bonne réputation.
À ce moment-là, je me permets d’avancer ma proposition de rétribution.
— Vous allez dire que j’exagère, mais c’est trop, c’est largement en dessus des normes syndicales.
— Je ne savais pas que les réfugiés avaient déjà formé un syndicat, on arrête pas le progrès.
— Non, c’est vis-à-vis des aides sociales.
— Juste une question, vous en avez beaucoup qui font acte de présence 24h/24h et 7/7 et qui en plus nourrissent des bébés ? Personnellement, je trouve que c’est presque un minimum, mais je tiens compte que je lui fournis le gîte et le couvert et que je compte bien l’aider au maximum. Cela rentre dans aucune convention collective, le remplacement d’une mère à plein temps.
— Je comprends bien, mais avec ces exceptions, je me vois mal vous obtenir des soutiens sociaux.
— Je pense que je n’ai rien demandé pour le moment, ma situation me permet d’assumer ces problèmes.
— Dans ce cas-là, je n’ai rien à dire.
— Il y a quand même une chose que je vous saurai gré de me renseigner : Si Aïcha doit s’absenter, vu certains problèmes administratifs, je me dois de l’accompagner et soit on y va avec une poussette deux places, mais c’est un peu lourd ou avoir une aide sur demande pour surveiller nos deux enfants.
— Ça peut se faire.
— Alors tout va sans problème, pour la police, c’est aussi en ordre ? Tant qu’à faire, j’aimerai d’autant que sa nouvelle adresse ne soit pas trop divulguée, son futur époux ayant été assassiné pour des raisons probablement politiques, je ne me vois mal accueillir ici une armée de tueurs potentiels.
— Je peux expliquer cela à la police, me répond l’assistante sociale, on a un problème similaire, quand on arrache une prostituée à la mafia, il faut qu’elle puisse se réfugier à un endroit sans que personne sache où exactement à part l’organisation qui s’en occupe, même la police, à cause des ripoux potentielles ne connaît pas ces adresses.
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