Il est presque facile de dévaler la pente. Il est un moment où on se
laisse tomber. On renonce. Le jeu n’en vaut plus la chandelle. Tout fout
le camp. Le champ de désillusion a tout emporté. On ne croit plus à la
vérité. Notre passé resurgit en tissu de mensonges. Notre âme on l’a
perdu à faire le Bien. On ouvre ses bras volontiers à Satan. Celui-ci
nous promet un bonheur présent, instantané. Plus de chimères. Rien que
du concret. J’en étais là à ce moment. Mon mari ne m’avait jamais aimé
ni respecté. Mes enfants s’en étaient allés.
Le Diable n’est jamais loin tel un nid de serpents chauffé en notre
sein. Autour de mon mari nombre de ses amis m’avaient toujours convoité.
Je les avais alors et sans difficulté éconduit avec le tact requis. Puis
vint un jour de blues où j’acceptais que Quentin m’offrit un verre à la
Rotonde. Je ne sais pourquoi pas je m’ouvris à lui de mon désarroi. Je
vis trop tard que celui-ci prit cela pour une invite et une ouverture.
Je rétablis tant bien que mal la chose. Je lui dis que je voulais pas
tromper mon mari et que j’avais eu tort de croire en lui un ami
désintéressé.
Or ce jour-là un autre ami de mon mari nous vit. Il tint à me faire
chanter. Cet homme était pire que Quentin. Henri il s’appelait. Le plus
fourbe de la bande. Il perdait souvent aux jeux. Il ne dédaignait point
d’aller aux putes. Il collectionnait en quelque sorte tous les vices. Je
ne pouvais plus mal tomber. Il savait qu’à cette époque, j’étais fort en
délicatesse avec le mari. Ce dernier n’eût pas aimé que je fricote avec
Quentin, notoire dragueur. Henri percevant de suite ma vulnérabilité tel
une bête de proie, se jeta sur moi. Je crus devoir accorder un
rendez-vous à cet homme.
Ce fut peu loin au Majestic. Je suis sûre qu’il recourut à une substance
et me drogua car je vins à le suivre somnambulique jusqu’en une chambre
du quartier. Il abusa de moi. J’eus à vrai dire peu de plaisir. Je
percevais quelque chose soufflant, ruant entre mes cuisses. Je revins à
moi sous les coups de quinze heures. J’étais nue à côté de ce type
tirant sur sa cigarette. D’un air stupide, il dit : « T’as pris ton pied,
il semble ? » Enfouissant ma tête dans l’oreiller j’eus une crise de
larmes. Je vis que cela le désobligeait voire l’agaçait. Il cria :
« Arrête ! On me la fait pas ! »
Cette imbécile croyait que j’avais fait de même avec Quentin. Je tachais
de l’en dissuader . En tout cas il me menaça de tout raconter au mari.
Il me dit qu’il savait des chemins détournés pour le lui faire savoir.
Je l’en croyais capable. C’était le roi des coups tordus. En d’autres
termes il me conseilla de coopérer et d’être gentille avec lui. Ainsi
dus-je subir une seconde étreinte. Cette fois en toute lucidité voire
assentiment. A mon grand dam le sagouin me fit jouir. N’avait-il pas
raison somme toute ? Quoiqu’il en soit il crut devoir pousser son avantage.
Nous devînmes amants malgré moi. Je prenais mon pied à mesure. J’avais
d’une certaine façon méconnu les joies du sexe. Il se pouvait par
ailleurs que j’étais parvenue au stade hormonale où l’on est plus
réceptif à ces joies. Ce fut une révélation. J’en fus la première
choquée presque mortifiée. Je ne me comportais pas moins qu’une pute.
Les progrès furent fulgurants. Henri lui-même en fut impressionné. « He
ben si on m’avait dit que t’étais une garce ! » disait-il. Il n’en
revenait pas. En fait il perçut ce qu’avait de morbide ma façon de me
donner.
En effet cet appétit de sexe relevait d’une pure nymphomanie. Je
jouissais ostensiblement. Je fatiguais de caresses mon amant afin qu’il
recommençât sa saillie. Celui-ci n’en pouvait plus et me considérait de
façon étrange comme un monstre. Un jour hors de lui Henri, s’exclama
: »Je n’en peux plus. Tu mériterais que je te foute sur le trottoir. » Je
répondis naïvement : « Oui si tu veux mon chéri ». Soudain une lueur
traversa son esprit. Il trouva du coup une façon de se débarrasser de
mes caresses et d’en obtenir quelqu’avantage matériel. Il me proposa le
soir même de coucher avec un ami.
Ce dernier faisait peur. Une sorte de gitan avec des façons de voyou. Je
l’eus imaginé sortir de prison et d’avoir tué son homme. Son corps était
rempli de tatouages. Il me pris rudement. Mon côté digne bourgeoise
l’excitait. Il me savait prostituée d’occasion. Cela l’autorisa à se
plus mal comporter. La sodomie fut brutale. Je n’en fus pas mois éblouie
au sortir de ses bras. J’étais humiliée mais aux anges. On ne m’avait
jamais traitée de la sorte. Henri perçut tout le succès et ce qu’il en
résulterait pour lui. Il avait de la sorte payé une dette à ce gitan.
Il y eût bientôt d’autres pratiques. Au début je crus que c’était pour
me procurer des amants et se débarrasser de sa tâche. Ceci n’avait pas
l’heur de me flatter. Puis il vint un jour à m’avouer la vérité. Il les
faisait payer pour me sauter. Je sombrais des nues. J’étais adoubée d’un
coup prostituée. Je songeais un instant à l’honneur du mari. Non content
de lui être infidèle, je salissais son nom. J’eus honte mais me voyait
mal lui avouer cela. Henri me tenait. Je ne pouvais que plus descendre
l’escalier de l’enfer. Je ne voulais pas que d’autres sachent.
Henri put louer à peu de frais un appartement dans un lointain
arrondissement. Une vieille femme sur le palier recevait les clients et
s’assurait qu’ils payaient. Ensuite introduit dans la chambre, ils
avaient droit à une heure pour s’amuser. Nombre revinrent et devinrent
mes familiers. Ils étaient surtout flattés qu’une pute put jouir ainsi
sans feindre. Mon style guindé ajoutait à ce délice. J’en vins à goûter
cette double vie. Sur la fin je me vivais catin et courtisane de haut
vol. Henri me concédait mon argent même s’il s’en octroyait une bonne part.
J’en vins à me consoler et me résigner à cette situation surtout à
partir du jour où Henri put m’apporter la preuve que mon mari me
trompait. Je ne pouvais plus vivre désormais dans le remord. Tout
s’éclairait. Enfin une lueur de cynisme et de bon sens investit mon
esprit. Je m’appartenais. J’assouvissais mon vice. N’aimais-je pas être
baisée et humiliée par n’importe quel homme ? Peu importe que le gredin
d’Henri m’exploita. J’accédais à un début de liberté voire d’autonomie.
Même le jour d’anniversaire de ma première passe offris-je un cadeau à
Henri. Il le méritait.
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