A peine le temps d’enfiler son manteau et de piquer une épingle dans le tissu mauve du fichu dont elle avait en hâte recouvert son exubérante chevelure brune et elle était déjà dehors. La porte claqua fort derrière elle, la faisant sursauter alors qu’elle l’avait elle-même fermée à toute volée dans sa précipitation. Soir de derby, comme si elle avait pu anticiper ça. Et maintenant c’était à elle de se débrouiller pour trouver un menu adapté et les ingrédients nécessaires pour le préparer pour 5 personnes.
Elle soupira tout en dévalant les marches de l’escalier quatre par quatre. Il aurait quand même pu la prévenir avant, là son texto c’était la dernière minute, ça manque de sérieux. Enfin bon, c’est son mari, elle l’aime donc elle peut bien faire cet effort. Arrivée au bas des 3 étages en moins de 30 secondes, même pas essoufflée, Yasmina se dit qu’elle tenait encore la forme, ça aide à entretenir le cardio les séances à la salle. Elle ouvrit la poste et s’engouffra dans l’air frais charrié par le vent soufflant de ce début de soirée d’avril. Surprise par la fraîcheur du temps en comparaison de la tiédeur calme de son appartement, elle referma sur elle les pans de son manteau encore grand ouvert et décida de continuer son footing improvisé jusqu’au magasin, à quelques minutes de là.
A chaque foulée le halètement de sa respiration se traduisait par un nuage de buée apparaissant et se dissipant aussitôt devant ses lèvres. Lèvres qu’elle avait par ailleurs bien rouges et pleines, d’aucun diraient pulpeuses, et qui dissimulaient une dentition parfaitement alignée, exception faite du léger écart entre ses deux incisives supérieures. Elle en avait longtemps été gênée et encore aujourd’hui il lui arrivait par réflexe de couvrir sa bouche de sa main lorsqu’elle riait pour dissimuler ses dents du bonheur. Ca faisait son charme selon Mohamed, c’est la première chose qu’il avait vu et qui l’avait séduit en elle lorsqu’ils s’étaient croisés sur les bancs du lycée. Tant mieux si ça le faisait craquer mais pour elle ça restait toujours source d’un léger embarras, même si avec le temps elle avait appris à s’accepter telle qu’elle était. Et puis en dehors de ça elle se trouvait plutôt pas mal. Pas très grande mais bien proportionné, des petits pieds, des jambes bien galbées aux cuisses légèrement volumineuses pour son gabarit, mais elle les adorait, et son mari aussi. Des fesses en harmonie avec les jambes, son cul était volumineux mais ne tombait pas et entraînait inévitablement son pantalon à marquer une cadence hypnotisante pour les hommes quand elle marchait, ou plus encore quand elle courait comme c’était le cas à présent. Elle en était consciente, et bien que cela la flattait en son for intérieur elle se faisait une règle de toujours le couvrir soit par des tuniques longues soit par des pulls noués aux hanches, afin de dissimuler au mieux ses formes au regard des passants. La provocation n’était pas dans son tempérament et elle ne souhaitait pas recevoir de remarques inappropriées lorsqu’elle sortait. Son ventre, s’il n’était pas aussi plat que celui des filles des pubs pour le yaourt ou autres inepties, était toutefois bien travaillé par ses séances de sport hebdomadaire et ne débordait absolument pas quand elle refermait ses pantalons. Au-dessus se dressait sa poitrine, à l’inverse de son postérieur, ses seins n’étaient pas particulièrement proéminents, sans être non plus petits, ils étaient en adéquation avec sa taille, et d’une jolie rondeur. Enfin son visage. Outre les dents du bonheur et les lèvres ourlées, elle avait la peau pâle de sa mère, le nez petit et légèrement relevé en son bout, et les yeux en amande de son père. Cette particularité, qui lui avait valu le surnom de « chinoise » depuis son enfance, cachait de superbes iris d’un vert profond où l’intelligence le disputait à l’humour. Pour parachever ce tableau ses joues étaient parsemées de quelques taches de rousseur qu’elle prenait garde, avec coquetterie, à ne pas recouvrir chaque fois qu’elle se maquillait.
Elle acheva sa course à l’entrée de la superette turque tenue par un épais moustachu d’une cinquantaine d’année qui l’accueillit par un « Salam alekum » retentissant. Elle prit le temps de répondre « Alekoum salam » au passage avant de se diriger vers l’allée des fruits et légumes. Son choix s’était fait pendant qu’elle enchaînait les foulées pour venir faire ses courses, elle préparerait de la dolma pour ses invités du soir et avait donc besoin d’acheter des courgettes et des pommes de terre, pour la viande hachée elle se rendrait à la boucherie sur le chemin du retour. Tout en fouillant les étals à la recherche des légumes les plus beaux elle déverrouilla son portable et se rendit sur un quelconque site de recettes pour s’assurer qu’elle n’oublierait aucun ingrédient avant de repartir chez elle. Bien lui en pris, elle avait totalement oublié les pois chiche et se dirigea vers le rayon dans lequel trois boîtes se battaient en duel sur l’étagère la plus élevée. Du haut de son mètre cinquante-sept elle était bien trop petite pour atteindre le faît du meuble et le savait pertinemment, comme à chaque fois que cette situation se présentait elle savait comment faire : Elle déposa son téléphone à côté d’elle sur une étagère et posa les deux pieds sur le rayon le plus bas, ça devrait suffire à lui permettre d’atteindre son graal. Mais alors qu’elle tendait les bras, ainsi que tout le corps, en direction de pois chiches qui demeuraient à son grand dépit hors de sa portée, sa main fut dépassée par celle, matte et épaisse, d’un homme qui s’empara du pot et le lui déposa entre les doigts.
– Salam Yasmina, wesh tu cherches le claquage ou quoi ? Faut pas forcer comme ça tu le sais que t’es tite-pe. Tu t’fais du mal là.
– Salam Lyes, répondit Yasmina en reconnaissant la voix de l’ami de Mohamed, merci pour le coup de main j’avoue que je galérais là.
– Si je peux rendre service j’vais pas me faire prier.
– Bon il faut que j’y aille si vous voulez manger ce soir. Arrive pas trop tôt, Mohamed vient juste de me prévenir et j’ai rien préparé encore.
– Ah tu sais moi j’arriverai pour le début du match, que la bouffe soit prête ou pas j’m’en tape. Et t’as intérêt à bien nous nourrir parce qu’il va y avoir des émotions, ça va se taper sur le terrain.
– Oui, oui, t’inquiète Lyes, dit Yasmina tout en se retournant et s’éloignant à marche vive vers la caisse.
La caisse était tenue par le fils du moustachu, Omer, un jeune homme du quartier, grand et maigre, qu’elle connaissait depuis les bancs du collège. Ils n’étaient pas particulièrement proches mais grandir dans le même quartier les avaient amenés à se connaitre. Il l’accueillit avec un grand sourire et l’encaissa après avoir échangé les salutations d’usage. Une fois ses courses bien rangées dans son cabas elle se remit en mode sportive et s’élança à nouveau vers le froid qui sourdait à travers la porte entrebâillée du magasin, au moment où elle refermait celle-ci et reprenait sa course elle entendit qu’on appelait son nom depuis le fond du hanout.
– J’ai pas le temps là Lyes, cria-t-elle sans se retourner, tu me diras ça tout à l’heure d’accord.
Sans attendre de réponse elle reprit sa route à vive allure vers la boucherie puis la maison, maugréant mezzo voce contre son mari qui la prenait au dépourvu alors qu’elle adorait tout anticiper. Dans le magasin Lyes regarda avec dépit la femme de son ami faire peu de cas de son appel et partir en courant tandis qu’il brandissait dans sa direction le portable qu’elle avait oublié, allumé, sur la tablette de l’étagère.
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